Cherche littérature érotique de qualité

Jean-Pierre Dalbéra, Flickr, Licence CC
Jean-Pierre Dalbéra, Flickr, Licence CC

Ah la littérature érotique, la collection Harlequin, 50 Nuances de Grey… STOP. NOPE. On arrête tout de suite. LITTERATURE érotique s’il vous plaît. Pas ce que lisait Tatie Mireille après le repas quand elle vous croyait couchée (alors que vous aviez chopé un des ouvrages sur sa table de nuit et le lisiez sous vos draps à la lumière de votre Nokia 3310 – et vous vous demandez pourquoi vous avez des lunettes maintenant ?) ou ce que votre meilleure copine vous a offert (car vous aviez trop honte de passer la commande vous-même) pour votre anniversaire, et que vous avez lu, mi mouillée mi outrée par la qualité de la prose de notre chère E. L. James.

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Pour ceux qui seraient passés à côté de ce scandale littéraire (non vraiment, ce succès est un scandale), nous ne résistons pas à vous introduire (arfarf) quelques extraits. Nous faisons par ailleurs d’une bite deux coups, puisqu’il s’agit du 4ème tome de la saga, que personne n’a lu (même les plus faibles d’entre nous ont leur limite).

1/ “Je la vois tout d’un coup ligotée à mon banc, avec un bout de gingembre frais inséré dans le cul pour l’empêcher de serrer les fesses, tandis que je manie judicieusement une ceinture ou un fouet. Ouais…”

2/ “Et lorsqu’elle m’explique qu’elle préfère son thé noir, mais pas trop fort, mon esprit s’égare : je m’imagine qu’elle parle de ses préférences amoureuses. Contrôle-toi, Grey. C’est du thé qu’il est question.”

3/ “Ses mots filent directement vers ma queue. Putain.”

Nous continuons à nous interroger quant au professionnalisme du traducteur français. Est-ce qu’il s’agit d’un traducteur expérimenté qui a serré les dents des jours durant, sans cesse tenté d’améliorer le style ? « Non Jean-Jacques, non, s’il répète 44 fois le mot « cul » en 23 lignes, tu répètes, c’est tout. Oui je sais que « putain » n’est pas une marque de ponctuation, tant pis, fais avec, t’es bien payé donc ferme ta gueule. » Ou s’agit-il d’un mec recruté parmi les trolls du net pour s’adapter au style bas de gamme de James ? Le Figaro nous apprend qu’il s’agit de Denyse Beaulieu (entre autres, car croyez-le ou non, ils étaient trois pour traduire le bouquin quand même), spécialiste du Marquis de Sade et directrice du magazine de charme pour femme Bagatelle (on l’a cherché mais on l’a pas trouvé).

Bref. Heureusement, pas besoin d’aller au fast-book américain pour frétiller du clito, la littérature française regorge d’œuvres érotiques alliant prose unique et sujet ravageur. Rappelez-vous enfin ! Les Liaisons Dangereuses de Laclos (oui bon, Sexe Intentions avec Sarah Michelle Gellar si vous préférez),

les poèmes de Sappho (qui ont à jamais gravé vos cours de grec de terminale dans votre mémoire) ou encore la Vénus Erotica d’Anaïs Nin ? Génial, me direz-vous ! En prévision des chaudes soirées qui arrivent, on a commencé à collectionner les œuvres érotiques classiques. On a eu envie de balancer des noms d’auteurs qui claquent du genre « Tu lis quoi ? -Alfred de Musset ». Boum. Ça passe bien mieux que « Tu lis quoi ? -Les 4 gazelles à New York qui se la collent en talons hauts « . Ça vous pose une femme ce genre de réponse.

 

1. C’est pas parce que c’est vieux que ce n’est pas excitant.

« Oh gente dame, tendez-moi votre cheville que je la baise chastement – Oh, mon bon monsieur, je rougis ouh là là », voilà ce à quoi on pense quand on se dit « littérature érotique classique ». Pourtant, nos romanciers et poètes préférés, toutes époques confondues, n’y allaient pas de main morte :

« Les mots ne lui font pas plus peur que les hommes, et comme eux ils lui font parfois plaisir. Elle ne s’en prive pas au milieu de la volupté. Ils sortent d’elle alors sans effort, dans leur violence. Ah, l’ordure qu’elle peut être. Elle s’échauffe, et son amant avec elle, d’un vocabulaire brûlant et ignoble. » Le Con d’Irène, Louis Aragon (1928)

Pas convaincu ? Apollinaire, dans Les Onze Mille Verges, est plus direct :

« Brandi en souriant fit pénétrer sa pine dans le trou élastique qui se trouvait entre les deux fesses du prince. Entré là, et tandis que les trois femmes le regardaient, il se démena comme un possédé en jurant :
– Nom de Dieu ! Je jouis, serre le cul, mon joli giton, serre, je jouis. Serre tes jolies fesses. Et les yeux hagards, les mains crispées sur les épaules délicates, il déchargea. »

 

2. Sexe et fantasmes n’ont pas d’époque.

On s’est étonnées de la modernité des sujets évoqués dans les classiques de la littérature érotique. Le plus parlant reste sans aucun doute Lysistrata, d’Aristophane (on est en 411 av J.-C. quand même !) :

« LYSISTRATA : Nous devons, ô femmes, si nous voulons réduire nos hommes à faire la paix, nous priver…
CLÉONICE : De quoi ? Explique. (…)
LYSISTRATA : Eh bien, nous devons nous priver de… verge. — Pourquoi me tournez-vous le dos ? (…)
CLÉONICE : Je ne saurais le faire ; que la guerre aille son train. (…) Autre chose, autre chose, ce que tu voudras. S’il le faut, je consens à marcher à travers le feu. Cela plutôt que la verge, car il n’est rien de tel, chère Lysistrata. (…)
MYRRHINE : Moi aussi, je préfère marcher à travers le feu. (…)
LAMPITO : Il est dur, oui, par les Dioscures, à des femmes de dormir sans un gland, seules. »

Bande de cochonnes !

Sinon, dans les autres situations éternellement d’actualité : le fantasme des hommes pour deux femmes qui font des folies dans un lit sans lui. Voici un extrait de Gamiani, ou Deux nuits d’excès d’Alfred de Musset (1833) :

« Je voyais déjà la Comtesse nue, dans les bras d’une autre femme, les cheveux épars, pantelante, abattue et que tourmente encore un plaisir avorté.
Mon sang était de feu, mes sens grondaient, je tombai comme étourdi sur un sofa.
Revenu de cette émotion, je calculai froidement ce que j’avais à faire pour surprendre la Comtesse : il le fallait à tout prix.
Je me décidais à l’observer pendant la nuit, à me cacher dans sa chambre à coucher. La porte vitrée d’un cabinet de toilette faisait face au lit. Je compris tout l’avantage de cette position ; et, me dérobant, à l’aide de quelques robes suspendues, je me résignai patiemment à attendre l’heure du sabbat (…) »

En 1977, Anaïs Nin faisait comme vous, elle avait des rendez-vous à la fenêtre avec son voisin d’en face

« Or la sensation d’être regardé me procurait un indicible plaisir. Je faisais les cents pas ou bien m’allongeait sur le lit. Elle ne bougeait pas. Nous avons répété la même scène pendant une semaine, le troisième jour, j’eus une érection. Pouvait-elle le voir du balcon d’en face ? Je me mis à me toucher, avec l’impression qu’elle était attentive au moindre de mes mouvements. J’étais la proie d’une excitation délicieuse. De mon lit je pouvais deviner ses formes généreuses… » (extrait de Vénus Erotica).

 

3. Ils étaient d’ailleurs bien plus trash il y a deux siècles.

Les coups de cravache sur le cul d’Anastasia font bien pâle figure par rapport à ce qu’on a pu lire au XIXème siècle. Notre cher Marquis de Sade avait déjà ouvert la voie au XVIIIème avec, par exemple, ses terribles pipes ensanglantées :

« Il la saisit alors avec férocité, il la place comme il avait fait de moi, les bras soutenus au plancher par deux rubans noirs : je suis chargée du soin de poser les bandes ; il visite les ligatures : ne les trouvant pas assez comprimées, il les resserre, afin, dit-il, que le sang sorte avec plus de force ; il tâte les veines, et les pique toutes deux presque en même temps. Le sang jaillit très loin : il s’extasie ; et retournant se placer en face, pendant que ces deux fontaines coulent, il me fait mettre à genoux entre ses jambes, afin que je suce ; il en fait autant à chacun de ses gitons, tour à tour, sans cesser de porter ses yeux sur ces jets de sang qui l’enflamment. » (extrait de Justine ou les Malheurs de la Vertu)

De Musset et confrères s’y engouffrent pleinement en ajoutant nécrophilie, scatophilie ou encore zoophilie à leurs écrits :

« Médor ! Médor ! Prends-moi ! Prends ! À ce cri un chien énorme sort d’une cache, s’élance sur la comtesse et se met en train de lécher ardemment un clitoris dont la pointe sortait rouge et enflammée. »

À nouveau tiré de Gamiani, ça fait deux fois oui, mais en même temps le roman est vraiment génial.

Aussi, si vous comptez fantasmer cet été sur les pages de nos auteurs du XIXème, assurez-vous que votre âme sera capable de supporter les pires horreurs.

 

4. Peut-on jouir de tout ?

Brain Magazine publiait récemment un très bon article résumant le combo tabou agressions sexuelles/stars de cinéma, repris à son tour par la dessinatrice Diglee qui s’insurgeait qu’on acclame encore des hommes comme Woody Allen ou Roman Polanski sans se poser la moindre question, comme si leurs génies cinématographiques pouvaient excuser les crimes dont ils sont accusés. Pour rappel, Woody Allen, marié à celle qui fut sa belle-fille enfant, de 35 ans sa cadette, est accusé de viol par sa fille Dylan.

De la même manière, on ne peut s’empêcher d’avaler de travers à la lecture de « chefs d’œuvre de la littérature » comme Lolita de Nabokov, dans lequel Humbert, professeur de littérature, confesse son amour passionnel pour Lolita, la fille de sa logeuse, 12 ans :

« Et ma bouche gémissante, Messieurs les jurés, toucha presque son cou nu pendant que j’écrasais sous sa fesse gauche le dernier spasme de l’extase la plus longue qu’un homme ou monstre ait connue. »

Peut-on jouir de tout ? Il le faudrait bien, car nombreux sont les romans érotiques (classiques ou non !) qui décrivent le plaisir pris par la femme violée, torturée, malmenée qui en redemande encore et encore : Histoire d’O, de Dominique Aury en est un très bon exemple :

« Mettez-vous à genoux pour m’écouter, dit-il…Vous confondez l’amour et l’obéissance. Vous m’obéirez sans m’aimer, et sans que je vous aime. » Alors elle se sentit soulevée de la révolte la plus étrange, niant en silence à l’intérieur d’elle-même les paroles qu’elle entendait, niant ses promesses de soumission et d’esclavage, niant son propre consentement, son propre désir, sa nudité, sa sueur, ses jambes tremblantes, le cerne de ses yeux. Elle se débattit en serrant les dents de rage quand l’ayant fait se courber, prosternée, les coudes à terre et tête en ses bras, et la soulevant aux hanches, il força…Elle criait de révolte autant que de douleur, et il ne s’y trompait pas. Elle savait aussi, ce qui faisait que de toute façon elle était vaincue, qu’il était content de la contraindre à crier. »

Il faut toujours que la femme soit faible, hystérique, frustrée, dominée en somme, pour qu’elle jouisse. Dans Belle de Jour par exemple, Joseph Kessel nous conte ainsi l’histoire de Séverine :

« La figure de Mme Anaïs, les beaux seins de Charlotte, l’humilité équivoque du lieu, son odeur qu’elle avait cru porter un soir dans ses cheveux, tout cela s’acharna sur la mémoire charnelle de Séverine. Elle en frémit d’abord de répulsion, puis l’accepta, puis s’y complut. La présence de Pierre et l’amour déchirant qu’elle avait pour lui la défendirent quelques jours. Mais la fatalité intérieure inscrite en Séverine, vrai sceau de son destin, devait s’accomplir. »

Son destin en l’occurrence, c’est de finir prostituée dans une maison close pour ressentir enfin un peu de plaisir.

Et quand ce n’est pas le viol, c’est l’inceste. Dans Le Rideau Levé ou l’Education de Laure, la jeune fille est initiée au plaisir sexuel par son père, qu’elle considère être « Un homme extraordinaire, unique, un vrai philosophe au-dessus de tout« , dont le sexe est un « vrai bijou« . Rien que ça. Par contre on a eu beau chercher, on n’a pas vu la dimension féministe dans le livre, désolées Monsieur Sollers, on ne doit pas connaître le vrai sens du mot.

 

5. Heureusement on n’est pas obligé de se farder tous les fantasmes dominateurs masculins pour lire de l’érotisme de qualité – enfin…

« Elle écrit comme un homme – mais non, si elle écrit comme quelqu’un, c’est comme une femme cent pour cent femme… Sur bien des points, elle est plus directe, plus franche que bien des auteurs masculins. Car voici une femme libérée, qui dit son besoin de l’homme, qui avoue être obsédée par le sexe et l’amour, sujet sur lequel on n’entend pas assez le son de cloche féminin. » Henry Miller parle ainsi d’Erica Jong, auteure féministe américaine et du roman qui l’a fait connaître en 1973, Le Complexe d’Icare.

Difficile de trouver un roman érotique féministe en tout cas, entendre ici un roman dans lequel la femme prend les devants et ne se laisse pas dicter, avec plus ou moins de violence, ce qu’elle doit faire par l’homme, sans pour autant être une description de sexe lesbien. Attention, loin de nous l’idée de qualifier bondage, SM et autre moment de domination masculine au lit de « non féministe », non, il s’agit juste de trouver la perle rare dans ce monde de fantasmes 100% masculins. On cherche, on cherche, et on a du mal à trouver ne serait-ce qu’un seul exemple, Oates (la Petite Mort), Arcan (Putain), Ernaux, soit on s’ennuie, soit on retombe dans le combo prostituée-violée. Dommage.

Mais dans un milieu complètement masculin, marqué par des codes masculins, où les femmes n’ont que trop peu leur place, qui accepterait de publier un roman érotique féministe ?

Petit graphique qui vaut tous les mots :

Source : Vidaweb

Pour plaire aux éditeurs, il faut leur parler de ce qu’ils aiment. «J’ai compris ce que cela voulait dire d’être une femme écrivain dans un monde où les femmes continuent d’être considérées comme une paire de seins et un sexe. J’ai appris tout au long de ce voyage que nous (les hommes et les femmes) ne sommes toujours pas égaux» explique Erica Jong. Il faut donc aller chercher du côté des nouvelles et ça tombe bien, elles fleurissent par milliers sur le net depuis quelques années (parmi elles, on vous recommande bien entendu celles de Maïa, à retrouver sur nos pages).