Quand on se pose la question : c’est non

Flickr - CC - micagoto

Déjà un coup de gueule ? Mais le dernier vient de sortir ? Et puis tu nous avais habitués à être en retard, pas du genre à publier le premier du mois. Oui, mais ce coup de gueule là il ne peut pas attendre.

Ce coup de gueule du mois s’adresse à la Jule d’aujourd’hui. De la part de la Jule de 5 ans, de 7 ans, de 15 ans et surtout celle de 22 ans, celle qui t’avait fait promettre de ne plus jamais remettre en question cette impression, ce sentiment, que quelque chose n’est pas juste, pas sain. Celle qui t’avait fait promettre que la prochaine fois que tu te sentirais en danger, non respectée ou tout simplement mal à l’aise, tu partirais. Immédiatement. Sans te justifier. Sans chercher une excuse. Juste partir.

L’occasion s’est présentée la semaine dernière, mercredi soir exactement, et il t’a fallu 16 heures pour réaliser. 16 heures pour dire non à voix haute. Autant te dire que celui à qui il s’adressait ce « non », il était déjà parti. Une heure trente d’un massage étrange, puis une soirée à se dire que le malaise venait d’ailleurs, la perte de ton bracelet une heure avant le massage au hasard, une nuit à mal dormir, à cause du bracelet perdu bien sûr, un petit déjeuner les larmes aux yeux, parce que dehors il fait moche et qu’il pleut, et puis, 16 heures après qu’il ait posé ses mains sur toi pour ce foutu massage, tu t’es déshabillée pour prendre une douche. Sauf que ce corps nu, dans la glace, tu ne l’as pas supporté. Tu t’es savonnée rapidement, tu as laissé couler les larmes avec la douche, et tu t’es rhabillée le plus vite possible. Dans un pull tout doux. 16 heures, c’est 16 de trop.

Qu’on soit bien clair. Je me fous de savoir si ce qui s’est passé pendant ce massage était prémédité ou issu d’une incompréhension. Je me fous de savoir s’il a été maladroit ou s’il mérite de finir ses jours en prison. Une seule chose m’importe : que les choses soient dites. Je n’étais PAS d’accord. Ce n’était PAS ok. Il y avait une frontière, celle du professionnel, et elle a été franchie. A plusieurs reprises. Sans mon consentement. J’aimerais, au nom et pour toutes celles qui ont vécu et vivront cette situation, remettre les choses au clair :

1/ Le fait de réfléchir, même une fraction de seconde à « Euh… Est-ce ok ? Est-ce que ça me plaît ? Est-ce que j’en ai envie ? », cela signifie que NON.

Et plutôt que de passer la minute voire l’heure suivante à se poser en boucle cette question est-ce que c’était comme ça la dernière fois? Parce qu’en fait j’aime pas trop. Mais en fait il doit savoir ce qu’il fait. Je devrais lui faire confiance. Il faudra que je demande à untel si elle aussi elle était mal à l’aise. Bla et bla et bla et bla : STOP. Mettre le holà. Immédiatement. Partir. Et c’est APRES qu’on pourra réfléchir à sa guise et autant de temps qu’on le souhaitera, à si c’était ok ou pas. Pas pendant que la chose se produit. Parce qu’au pire, on réalisera peut-être que « oui au fond j’avais vachement envie », mais mieux vaut rentrer frustrée d’un coup d’un soir que rentrer violée.

2/ Ne pas dire non, ça ne veut pas dire oui.

Ce n’est pas parce que vous n’avez rien dit quand son massage du plexus solaire s’est transformé en pinçage de tétons que vous étiez d’accord avec cet attouchement. Ce n’était pas à vous de dire non de toute façon. C’était à lui de ne pas vous pincer les tétons. C’est lui le fautif, et seulement lui. Si vous vous sentez si mal ce matin c’est à cause de lui. Et parlons mieux : c’est lui qui vous fait vous sentir mal ce matin. C’est lui qui vous agressée. C’est lui qui a dépassé les limites. Marre de parler au passif pour atténuer la violence. Mettons les coupables à l’actif s’il vous plaît.

3/ La nudité n’est pas la porte ouverte à toutes les fenêtres.

Le mec qui vient laver les fenêtres de votre entreprise là sur sa passerelle, bah il est pas invité à casser un carreau et à se prendre un café à la machine n’est-ce pas ? Genre si vous trouviez le gars avec son casque et son harnais dans votre salle de pause en train de se faire un latte, vous péteriez un peu un plomb non ? Ben là c’est la même. Être nue ou à moitié nue chez son ostéopathe, chez son gynéco, chez le masseur, ce n’est pas une invitation à se faire tripoter. Quand tu ouvres la bouches chez ton dentiste c’est pas pour lui faire une pipe que je sache ! Une personne, un professionnel, n’a aucun droit, aucune légitimité à outrepasser le cadre de ses fonctions, à faire autre chose que ce qu’il est autorisé, par la loi, à faire : un frotti, pas un cuni, un massage, pas des préliminaires. Qu’on soit nue ou habillée ne fait aucune différence.

4/ Il n’a pas d’excuse.

Qu’il soit gentil, naïf, dans une situation financière compliquée, nouveau, vieux, jeune, beau, rien ne l’autorise à franchir la limite. RIEN. Et non, on n’a pas à réfléchir à deux fois avant de porter plainte. Que le mec soit milliardaire et n’est pas à un million près ou qu’il soit chômeur avec quatre enfants à charge ne fait aucune différence. Il a profité de vous. Il vous a violée, agressée, physiquement, verbalement, moralement, il doit être sanctionné. C’est tout. Aucun cas particulier.

Je voudrais revenir au début de ce texte. Non ce n’est pas un coup de gueule contre la Jule de 27 ans aujourd’hui parce qu’il n’y a aucune raison que je m’en veuille de quoi que ce soit, et surtout pas de n’avoir pas su réagir à temps. Non, si mon énergie, si ma colère doit aller quelque part, c’est envers tous ceux qui pensent avoir le droit de se servir de nos corps. Alors excuse-moi Jule de 27 ans, excuse-nous. Ce soir, quand tu iras porter plainte, tu ne seras pas seule, la Jule de 5 ans, de 7 ans, de 15 ans et de 22 ans, on sera avec toi.

Je voudrais terminer ce texte sur une note positive qui m’a fait beaucoup de bien. Quand j’avais 5, 7 et 15 ans, personne ne m’a entendue. Personne. Quand j’avais 22 ans, on m’a entendue, écoutée même, mais tout ce qu’on a pu m’offrir comme réponse c’est un regard outré et un câlin. Aujourd’hui, on m’a dit tout ce que je viens d’écrire. Les quatre amies à qui j’ai parlé m’ont dit la même chose. Elles n’ont pas une seule fois remis en cause mes paroles, les tremblements de mon corps. Elles m’ont tout de suite corrigée quand j’ai commencé mes phrases par des « mais peut-être que je… ». Non. Pas de peut-être. Pas de « mais ». Ton corps sait. Tu sais. Et lui a grave merdé. Appelle-moi si tu es tentée d’oublier ou de minimiser, et ce soir je viens avec toi.