Savoir dire non : certes, mais comment ?

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Je ne sais pas dire non. Ça fait longtemps que c’est comme ça et, à vrai dire, longtemps que j’en ai conscience. Je crois que le jour où j’ai réalisé que j’avais un problème c’était en prépa. Je venais de passer une journée horrible – la prépa quoi – j’avais terriblement mal au ventre en mode gastro bref je n’avais qu’une envie, rentrer dans le 16m2 de ma résidence étudiante filer aux toilettes puis boire un thé et regarder un épisode de Glee avant de m’attaquer à mes 324 disserts à rendre pour le lendemain. C’était bientôt la fin de la journée quand ma copine Anna m’a dit que mince, son père venait de lui écrire, il ne pouvait pas venir la chercher à 18h00 comme prévu et qu’elle ne se sentait pas d’attendre devant le lycée pendant trois plombes. Moi, ni une ni deux : « ben viens chez moi ! ». Mais oui Anna, viens chez moi, viens dans mon 16m2 vivre ce moment ultra gênant où je vais te laisser avec ta tasse de thé pendant que je filerai aux toilettes y passer la soirée (parce que qui arrive à faire quelque chose sur des toilettes quand quelqu’un est assis à 45 centimètres derrière la porte ?).

Vous : Tu ne sais pas dire non parce que tu veux qu’on t’aime.

Moi : Eh oui, vous avez bien raison. N’ayant pas eu d’ami·es pendant de longues années – le cartable chipie, les baskets à scratch Décathlon et l’année d’avance ça ne passe pas méga bien dans les collèges du sud de la France – j’avais un peu tendance à rendre service dès que possible pour qu’on m’aime bien.

Mais ça n’explique pas tout, car maintenant ça va bien mieux côté ami.es, confiance en moi tout ça tout ça et je ne sais toujours pas dire non.

On est beaucoup à ne pas savoir dire non. À faire passer le désir des autres (ou ce qu’on pense être le désir des autres) avant les siens. Et on a toutes des raisons de le faire : parents qui ont un peu merdé côté protection, exigence de perfection, exigence d’être gentille, de ne pas décevoir, tendance à beaucoup projeter sur les autres.

L’hypersensible que je suis par exemple, ferait tout et n’importe quoi pour ne pas être à l’origine de sentiments négatifs chez une personne, persuadée que, dans le meilleur des cas, la personne va me rayer de sa vie, dans le pire des cas, le monde pourrait s’ouvrir sous mes pieds et m’engloutir.

Mon quotidien c’est ça :

Amie X : Tiens, pour ton anniversaire je t’ai acheté ce vinyle, j’espère que tu ne l’as pas déjà.

Moi : Non, pas du tout, merci beaucoup il ne fallait pas !

Moi (ce que j’aurais aimé pouvoir dire) : Oh, c’est trop gentil, il ne fallait pas. Fais voir ? Oh mince, tu me connais tellement bien… Mais du coup oui en effet, je l’ai déjà. Mais garde-le, tu penseras à moi, on sera soeurs de vinyles !

Moi (pourquoi je ne lui dis pas que je l’ai déjà) : si je lui dis, elle va se dire que je suis relou, elle ne va plus jamais rien m’offrir, elle ne va plus jamais venir à mes fêtes, on va s’éloigner, on va se perdre de vue, et puis je vais la mettre tellement mal à l’aise, ça a dû coûter au moins vingt euros ce vinyle, elle va se dire qu’elle a dépensé de l’argent pour rien, elle va se sentir obligée de m’acheter un autre cadeau d’anniversaire mais je sais qu’elle ne gagne déjà pas beaucoup, elle va se dire qu’elle aurait dû me demander avant, faire autrement, qu’elle me met moi-même dans une situation où je suis déçue – j’arrête là.

 

Ce mode de pensée s’applique donc aux situations « anodines », et, bien entendu, aux « autres situations ».

Il y a deux ans, quasiment jour pour jour d’ailleurs, j’avais rendez-vous avec un masseur. C’était mon quatrième massage avec lui. En l’espace d’un an je lui avais envoyé toutes mes copines tellement il était doué, genre ostéopathe +++, le mec qui peut dire partout où vous avez mal avant même que vous vous allongiez sur la table. Sauf que cette fois là c’était différent. Au lieu de passer l’heure à me dire « raaaah je vais tellement bien dormir cette nuit », j’ai passé l’heure à me dire :

Bon, je ne me sens pas super à l’aise avec le fait que son doigt glisse jusqu’au bout de ma colonne vertébrale (aka entre mes fesses) mais ça doit être normal, un peu comme au yoga, étirer la colonne, le chien tête en bas tout ça, ah tiens je crois qu’il m’a pincé les tétons, euh, étrange, j’ai dû mal sentir, la faute à la musique/bougie/chaleur, la détente tout ça, ça me met un peu dans les vapes ce massage, j’ai dû m’endormir sans m’en rendre compte, ah non, il a bien pincé mes tétons… Je suis pas du tout à l’aise avec ça mais bon ça doit faire partie du massage, peut-être qu’il y a un chakra juste là, comme en acuponcture, oui ça doit être ça, il doit y avoir un chakra, il sait ce qu’il fait de toute façon, euh, il vient de me faire un bisou sur le front, ça ne va vraiment pas là mais si je dis quelque chose ça va être bizarre, ça va complètement ruiner le massage, il va être mal à l’aise, il ne va plus oser rien faire or d’habitude ça m’a toujours fait tellement de bien ce massage, non, je ne vais rien dire, je ne veux pas le mettre mal à l’aise, après ça va être vraiment trop akward, et puis de toute façon c’est bientôt fini non, sûrement oui, sûrement, vivement que ça se finisse, vivement que je me rhabille et que je rentre chez moi.

Le retour de bâtons – il y a toujours un retour de bâtons quand on ne s’écoute pas – est arrivé le lendemain quand, nue, je me suis effondrée en larmes dans ma salle de bain avant de prendre ma douche. Je vous passe la suite, thérapie, plainte, reprendre confiance blablabla pour arriver au moment où je m’étais promis qu’à partir de maintenant, je dirai NON quand je sentirai que quelque chose ne me convient pas. NON, NON, NON. Je m’étais bien entraînée. À l’époque je m’étais dit : un mec qui se fait masser et qui sent la main de la personne commencer à faire quelque chose dont il n’a pas envie, est-ce qu’il dirait quelque chose ? Oui (en vrai je n’en sais rien, ne commencez pas à m’écrire pour me donner des contre-exemples, je vous parle juste de mon imaginaire et des idées qui m’aident). Donc si, dans mon idée, un mec se sent tout à fait le droit de dire « alors non monsieur/mademoiselle, je n’ai pas payé pour ça, merci au revoir », je dois en être capable.

Le mois dernier, j’avais rendez-vous pour un massage reiki. Le troisième avec cette femme très bien que je recommande d’ailleurs. Je ne sais pas pourquoi (pourtant j’avais déjà été chez elle plusieurs fois), j’avais en tête que le massage reiki c’était la chaleur des mains du masseur.se au-dessus de votre corps, mais qu’il n’y avait pas de contact. Je m’allonge donc sur le dos, en mode « oui la vie c’est trop dur et en ce moment, ça ne va pas mais regarde, tu prends une heure pour toi, ton corps, ton énergie, ça va te faire du bien » et là, ALARME DING DANG DING DANG DING DANG, la masseuse pose ses mains sur mes épaules. Je réalise soudain que si si, rappelle-toi, elle va poser ses mains à plat sur tout ton corps pendant une heure. Or, ce jour là, à cet instant là, je n’en avais pas du tout envie. Progrès néanmoins par rapport au massage d’il y a deux ans : je ne me suis pas contentée d’entendre dans ma tête le débat « je ne me sens pas bien versus ne dis rien car si tu dis quelque chose ça va être pire », une troisième voix était apparue, si bien que c’était désormais : « je ne me sens pas bien versus ne dis rien ça va être pire versus tu t’étais promis que tu dirais quelque chose ». #CulpabilitéÀFond. J’ai donc passé l’heure à décortiquer ce qui pourrait potentiellement se passer si je disais quelque chose, à me demander si ça valait la peine de prendre le risque d’interrompre le massage, de mettre la dame mal à l’aise, qu’elle sorte de son truc et qu’on doive tout arrêter etc. Et puis il y a eu ce moment terrible où je me suis dit : « je sais qu’à un moment je vais devoir me retourner sur le ventre. Si elle pose ses mains sur mes fesses je dirais quelque chose. Le reste je peux prendre sur moi, le dos tout ça, mais les fesses, n’importe qui pourrait être mal à l’aise donc je pourrais être légitime à dire quelque chose. » J’ai attendu, fébrile, qu’elle me demande de me retourner, j’ai attendu, fébrile, que ses mains appuient sur mes omoplates puis le centre de mon dos, puis mes reins, et mes fesses. Et je n’ai rien dit. J’ai fermé un peu plus fort les yeux en pensant « ça finit bientôt, tu vas rentrer chez toi, boire du thé, et au moins, tu ne l’auras pas mise mal à l’aise. »

Ça aurait pu continuer toute ma vie comme ça, mais c’était sans compter SUPER-MARTIN.

La semaine dernière, j’avais un rendez-vous chez une naturopathe qui fait de la médecine chinoise.

Vous : Tu dépenses beaucoup d’argent dans les médecines chelous non ?

Moi : Tout à fait, mais le jour où vous me donnerez l’adresse d’un médecin généraliste allemand qui me recevra plus de 3 minutes ailleurs qu’entre le couloir et la salle d’attente, peut-être que je retrouverai confiance en la médecine occidentale. En attendant je vais chez des gens compétents qui certes me prennent 80€, mais qui m’écoutent parler fatigue, peur de l’engagement et diarrhée, qui prennent ma tension, m’auscultent, et me gardent une heure dans leur cabinet.

J’allais donc chez cette naturopathe en sachant qu’elle allait appuyer sur des points d’acupression qui se situent sur tout mon corps, et que c’était l’exercice parfait pour tenter l’expérience du non.

Pour m’y préparer, j’en avais parlé à Martin – on aiiiiiiime Martin. Martin c’est le psy-c’est-la-vie qui me donne des conseils pratiques de choses à faire pour tenter de survivre à mon hypersensibilité et mes divers traumatismes – la thérapie comportementale c’est… bref vous avez compris. Donc que nous dit Martin ?

 

Première étape : trouver une situation où vous avez cru que, mais en fait non

But : réaliser que parfois, on croit que la personne va réagir d’une certaine manière à une situation alors qu’en fait elle ne réagit pas du tout comme on croyait qu’elle allait réagir.

Intérêt : arrêter de penser que si je dis non à une personne, elle va passer la soirée à pleurer en se remettant en question / elle va me bannir à jamais de son carnet d’adresse / elle va se venger en me faisant souffrir à la prochaine occasion.

Comment on fait : on cherche dans sa mémoire une situation où on a cru vexer quelqu’un à vie et où la personne est passée à autre chose en moins de deux secondes.

Dans mon cas : le 23 septembre 2018 j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai dit à ma coloc et meilleure amie que  » ce soir j’aimerais bien rester seule dans ma chambre ». FOLIE : elle n’a pas eu l’air vexée, elle ne s’est pas mise à pleurer, elle ne m’a pas dit un truc passif agressif genre ça tombe bien moi aussi, non. Elle a dit « ok pas de souci, c’est important parfois d’être seule, et n’hésite pas si tu as besoin d’être seule plus souvent. »

 

Deuxième étape : faire confiance à la petite voix

But : ne pas laisser s’installer la discussion à deux, trois, quatre voix sur la question de savoir si ça vaut le coup ou pas de dire quelque chose.

Intérêt : ne pas se dire après coup « j’aurais dû dire quelque chose » maintenant que les conséquences sont vraiment relous.

Comment on fait : tu le sais, je le sais, cette fameuse petite voix, c’est la part enfant de toi qui est hyper spontanée et qui dit quand ça va pas. Un enfant dit quand ça va pas.
Tu as un semblant de fibre parentale en toi ? C’est le moment de l’exprimer. Prends un instant, imagine-toi avec un bébé dans les bras. Patatra, un danger survient. Quelle est ta réaction ? Si tu as envie de protéger le bébé contre le danger et le mettre en sûreté, cet exercice est bon pour toi.

Dans mon cas : je ne sais pas si je veux des enfants, je ne suis pas douée avec les enfants (les enfants ne m’aiment pas), mais c’est vrai que quand j’ai un enfant dans les bras, je me sens forte, soudain mes problèmes me semblent ridicules, je me sens investie d’une mission : protéger cet enfant.

L’idée : activer ce sentiment dès que j’entends la petite voix.
Petite voix -> boum image du bébé dans les bras -> boum protéger cet enfant envers et contre tout -> BOUM non merci c’est bon on s’en va.

 

Troisième étape : se trouver un modèle

But : si toi tu n’en es pas capable, qui pourrait t’apprendre à le faire ?

Intérêt : « c’est pas moi c’est l’autre. »

Comment on fait : on trouve une super-héroïne qui, elle, dans cette situation, n’aurait aucun problème à interrompre le truc et dire non. Littérature, cinéma, musique, quelqu’un de votre entourage. Trouvez cette personne et imaginez-la dans cette situation. Que ferait-elle ? Que dirait-elle ? Si elle peut le faire, vous pouvez le faire. Et si vous ne pouvez pas, c’est le moment du jeu de rôle, imaginez-vous être elle, et lancez-vous.

Dans mon cas : j’ai ramé pour trouver mon héroïne, et puis soudain j’ai pensé à Mélanie – coucou Mélanie –, qui n’a mais alors aucun problème à dire à la serveuse qu’elle aimerait et du pain, et du sel, et de l’eau, sur un ton extrêmement poli mais sans s’excuser pour autant, le ton parfait qui dit ah mince il manque aussi ça je suis navrée mais en même temps bah on est au restaurant et c’est juste normal d’avoir de l’eau et du sel et du pain et on paie un peu pour ça donc voilà. Mélanie, si les chaussures qu’elle a achetées ont un défaut, elle retourne au magasin et elle obtient les mêmes chaussures sans défaut, ou alors s’il n’y a pas d’autres paires elle obtient un remboursement même si théoriquement vous ne pouvez avoir qu’un bon d’achat madame, non merci, pas besoin de me montrer le texte de loi (Mélanie est une super avocate), très bien donnez-moi votre carte de crédit qu’on vous la recrédite. Mélanie <3.

Quand je suis allée à mon rendez-vous avec la naturopathe je me suis imaginée Mélanie en train d’aller à ce rendez-vous, et soudain je me suis sentie vachement moins seule. Je me suis imaginée tenant un bébé dans les bras et je me suis sentie vachement plus forte. Je me suis assise, j’ai raconté mes histoires de diarrhée et de stress de l’engagement et puis avant de m’allonger sur la table j’ai dit :

Moi : Est-ce que vous pourrez me prévenir à chaque fois que vous allez me toucher ?

Et elle, elle n’a pas dit : « ah bon, pourquoi ? », elle n’a pas dit : « ah euh, c’est bizarre, je ne sais pas, euh peut-être faudrait-il revenir une autre fois, le rendez-vous ne va servir à rien alors », elle n’a pas dit : « d’accord, mais pourquoi ? tu as eu une mauvaise expérience ? tu veux me raconter ? »

Non.

Elle a dit :

Elle : Pas de souci.