Vivre avec son mec (1/3) : Il est toujours là

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Cela fait donc un an et demi que je suis en couple avec X.

 

Je fais un saut de ligne car moi-même j’ai un peu de mal à y croire. Un an et demi. Et il est encore là. Et moi aussi. Dingue. Comme quoi la thérapie, ma foi… « c’est la vie » comme dirait ma copine S. qui a découvert le concept il y a peu :

« Non je te jure, la thérapie c’est la vie, tu me l’avais dit, tout le monde me l’avait dit, mais c’est vrai.

– Bah ouais, cool que tu te sois décidée.

– Ouais… Enfin à la base j’y allais pour une copine. Je te jure ! Mais vingt minutes après je lui pleurais dessus en mode ma mère ne m’a jamais aimée.

– Je vois. »

Bref, grâce à Martin, mon ami le thérapeute allemand aux écharpes en soie et à l’étrange passion pour la Corée du Sud (Martin, que nous caches-tu ?), j’ai survécu jusqu’ici au concept du couple. Il faut dire que j’ai été dans le déni pendant un peu plus d’un an. J’ai même fait une liste des choses qu’on n’allait pas faire avant un an de relation (cinéma, musée, rencontre des amis, des parents, concert, brunch). Ah oui non mais moi quand je suis dans le déni j’y suis en plein hein. En couple ? Moi ? PAS DU TOUT.

Bref. Quand on a décidé d’aller passer deux semaines dans le sud de la France en janvier, concrètement c’était la première fois de notre vie qu’on allait passer plus de trois jours ensemble. Littéralement. Trois jours, ça avait été lé plus long jusqu’à présent.

L’idée, on l’a eue cet automne. Je m’étais donc bien préparée à l’idée. Martin avait même programmé une séance complète à ce sujet.

« Alors, qu’est-ce qui vous fait peur à l’idée de ces deux semaines ?

– Bah toujours pareil. Je vais être chiante et il va me quitter.

– Pourquoi vous allez être chiante ?

– Parce qu’il va être là. Genre… Tout le temps. Et quand j’ai besoin d’espace (souvent) et que je ne suis pas capable de l’exprimer, bah je suis chiante. Comme ça c’est lui qui s’en va.

– Chiante comment ?

– Oh, la tactique habituelle, je vais être méchante. Je vais lui dire qu’il devrait faire du sport. Ou je vais lui parler de tous les mecs de mon entourage que je trouve mignons. Voire de mes derniers flirts. »

Je vous autorise à vous questionner sérieusement sur le pourquoi du comment que se fait-ce que X. soit encore là après 18 mois de relation.

Passons tout de suite à la conclusion de Martin : X. et moi, on ne partage rien. Au sens propre du terme (on a quand même quelques points communs) : on n’habite pas ensemble, on ne partage donc pas d’appartement ou de meuble. Chez moi c’est chez moi, chez lui c’est chez lui. J’ai une boîte pour mes affaires chez lui, il a une trousse de toilette chez moi (mais je la cache dans le tiroir secret d’un meuble pour ne pas la voir #ôdéni). On habite dans la même ville certes mais pas dans le même quartier (10 kilomètres nous séparent). Quand on va au cinéma (oui, j’ai levé l’interdiction il y a peu), c’est souvent pour voir un film que JE veux voir. Les concerts, c’est des groupes qu’IL veut voir.

Ce constat, je l’avais déjà fait il y a quelques temps. J’avais donc tenté de partager une activité avec X. avant Noël : la kitchen litho (vous pouvez youtuber, c’est sympa). Échec magistral. Je me revois lui dire « bon alors je te propose que je fasse toute seule. Tu regardes, ensuite tu fais tout seul. Et puis moi je referai toute seule mardi soir (aka quand je serai seule à l’appart). » Oui, sérieusement. #Casdésespéré

Martin m’a recommandé de faire de la pâtisserie. « Allez, petit exercice pour la prochaine fois : profitez de Noël pour faire des Plätzchen ! ». Martin, ah Martin, bien tenté, mais la pâtisserie, trop simple, je vais répartir les tâches et à la fin je vais trouver un truc super urgent à faire et je vais le laisser finir tout seul. Raté raté.

Bref. Nous voilà donc, X. et moi, en train de poser nos valises dans un charmant appartement du sud de la France peu avant le réveillon. Sans surprise aucune, les premiers jours furent… difficiles. Angoissants pour être exacte. Les mots de Martin me revenaient constamment en tête, enfin surtout LE mot tabou : « partager ». Nous partageons l’appartement. Ce n’est ni chez moi, ni chez lui, pendant deux semaines c’est chez nous. Notre lit, notre canapé, notre cuisine, nos assiettes… Argh, c’est bon, c’est la crise de panique. Heureusement, j’ai de bonnes copines.

« Allô M. ? C’est la crise.

– T’inquiète, l’année dernière quand je suis partie en vacances avec Truc pour le nouvel an, bah j’ai passé la matinée du 31 enfermée dans la salle de bain en mode crise d’angoisse.

– Ah comme moi…

– Après l’avoir appelé par le prénom de mon ex pendant l’amour.

– Ah oui quand même…

– Sachant que j’avais fait deux crises de panique la veille au boulot.

– Merde tu m’avais pas dit que…

– Loupé le RER et donc l’avion.

– Ok. Donc tu comprends.

– Oui Jule, je comprends. »

J’adore mes copines.

« Allô J. ? C’est la crise.

– Ça y est, vous êtes arrivés dans le sud ?

– Oui.

– Et le problème c’est quoi ?

– Il est toujours là. Genre ce soir il sera là. Demain il sera là. Après-demain il sera là. Même s’il va faire un tour, bosser dans un café, bah il va revenir, et il sera là.

– Je comprends. Si ça peut te rassurer ça fait un an que j’habite avec mon mec et j’ai encore du mal avec le fait qu’il soit toujours là comme tu dis. »

Alors non, ça ne me rassure pas DU TOUT, mais je me sens moins seule.

« Oui Maman, tout va bien mais il est toujours là.

– Mais ma chérie, si vous vous aimez, si tout se passe bien entre vous, quel est le problème ? »

C’est vrai ça, quel est le problème. Je l’aime ? Oui. Follement ? Oui. J’envisage de passer plusieurs années avec lui ? Oui. J’envisage même de faire des enfants avec lui ? Carrément. Je consens au fait qu’il va bien falloir qu’on vive ensemble un jour ? Absolument pas.

Enfin si, en soi je sens bien que ça peut être pas mal le concept de vivre à deux quand tu as des enfants. Et de s’être un peu entraînés avant (à vivre à deux), ça ne peut qu’être bénéfique. Mais alors déjà j’ai plein de copines qui sont depuis mille ans avec leur partenaire et qui ne vivent pas ensemble. Je connais même des copines enceintes qui ne vivent pas avec leur partenaire (bon une, mais je peux vous en trouver d’autres, c’est sûr).

« Jule, c’est quoi le problème exactement, de quoi tu as peur ? »

On peut toutes et tous s’accorder sur le fait qu’on n’est pas exactement pareil·les quand on est au bureau, chez ses parents, dans un bar avec sa meilleure copine ou avec son mec. Certes, on est la même personne (sinon c’est inquiétant, je peux vous donner le numéro de Martin), mais des facettes de nous s’expriment plus ou moins. Je vous assure que même après trois bouteilles de Bandol, je fais attention à ne pas commenter le rapport quantité de tissu/circonférence des muscles du serveur quand je suis en présence de ma mère – ce que je fais déjà après un jus de pomme avec ma coloc.

Donc a+b conséquence de tout ça : quand je suis avec X., c’est surtout une facette de moi qui s’exprime (notamment constituée de cette part insoupçonnée de ma personne qui autorise l’homme en question à me mordiller l’oreille/la joue/le nez/le menton (malheureusement aucune de ces propositions ne sont à rayer) pendant de longues minutes et ce, en toutes circonstances).

Et donc : je ne me sens pas complètement moi-même. Pas au sens où je lui cache des choses, mais au sens où d’autres facettes de moi ne s’expriment pas, ou trop peu. Quid de mes silences méditatifs devant mes mots croisés ? Car vu qu’il est à côté, bah je commente, je fais des blagounettes, je demande son avis… Quid de mes réflexions limites sur le physique de jeunes éphèbes espagnols (on parle deux minutes de la série Elite sur Netflix ?) que j’ai appris à ne plus faire en présence de X. ? Non parce que les faire sur WhatsApp à ma coloc c’est quand même pas pareil. Quid de ce sentiment délicieux de rentrer se faire une bonne soupe à la maison, toute seule ? Bon, vous avez compris.

« Oui mais c’est parce que là vous étiez en vacances, si ça avait été à Berlin tu aurais conservé tes ami·es, tes activités, ton bureau etc. »

Certes, j’aurais continué d’aller au bureau, j’aurais continué d’aller à la danse, mais le soir, après tout ça, je serais rentrée dans un endroit qui ne serait pas uniquement le mien. Qui appartiendrait à X. autant qu’à moi. Et il y aurait peut-être même X. pour me demander comment s’est passé la danse, ma journée au bureau… Tout en me mordillant la joue/le nez/l’oreille (il est temps qu’on lui trouve un Martin à lui aussi). Et moi au lieu de terminer ma journée par un silence méditatif devant une soupe et Netflix, je répondrai, probablement en jouant avec ses boucles brunes, je ferai, je dirai ces trucs que je ne fais, que je ne dis qu’avec lui. Et toute une autre partie de moi s’en retrouverait annihilée.

« Ce X. m’a l’air vraiment bien comme partenaire de vie pour vous. (Martin)

– X. est formidable Jule, t’as pas intérêt à le lâcher ! (J.)

– Oh, vous allez faire de tellement beaux enfants ! (ma sœur) »

Bon ça va j’ai compris ! Je ne compte pas le lâcher croyez-le bien, je veux juste être sûre qu’en tombant (amoureuse), je n’abandonne rien dans ma chute.

Et je pose la question : c’est quoi le secret pour « ajouter » et non « perdre » quand on vit avec l’être aimé ?