Gaudriole, désespoir et popculture : 3 raisons de vous ruer sur « Infinity War »

Nous n’étions pas prêt.e.s. Voici l’évidence qui, à mesure que le choc nous enfonçait toujours plus profondément dans les sièges du Grand Rex, s’imprimait dans tous les esprits traumatisés venus découvrir le dernier né de Marvel, Avengers – Infinity War. Nous n’étions pas prêt.e.s. Personne ne l’était. Et vous ne dérogerez pas à la règle.

Loin de nous ici l’idée de vous pondre un article bourré de spoilers – bien que les mèmes, posts et tweets « Infinity War spoilers but without context » soient particulièrement inspirés – proposant une analyse pseudo-philosophico-socialo-ésotérique ultra référencée, que certaines mauvaises langues apparenteront à de l’onanisme intellectuel. Wisecrack se chargera de la tâche bien mieux que nous. Nous nous contenterons de vous lister, à chaud, les trois raisons pour lesquelles vous vous devez de voir ce monument du film de super-héros. Plusieurs fois, si possible.

Les Russo au sommet de leur art :

Pour ceux et celles qui ne les connaîtraient pas, nous devons à Anthony et Joe Russo d’avoir propulsé Marvel Cinéma dans la cour des grands films d’action grâce à leur premier méfait franchisé, Captain America : Winter Soldier. Réussissant le pari pourtant épineux d’actualiser l’un des héros les moins en phase avec son temps, les frangins posaient les bases de ce qui s’apparente à présent à leur signature : une production hyper cadencée, au scénario léché permettant des rebondissements inattendus, des personnages au goût prononcé pour les tourments intérieurs et dilemmes shakespeariens, un sens du montage guerrier à vous clouer à votre siège. Rappelez-vous (à partir de 01:19) :

Et puis, il y eut le dantesque mais compliqué Captain America : Civil War, introduisant le grand barnum qu’allait être le rassemblement des différents univers Marvel (intronisant, pour ne citer qu’eux, Black Panther et Spider-Man) tout en développant la dynamique scénaristique tragique, la logique de méchant bien plus complexe que celui généralement proposé par le film de super-héros (coucou DC) et d’intrigue alambiquée pâtissant, de fait, de quelques appesantissements. Si Winter Soldier posait les bases du style Russo et Civil War les creusait quitte à s’alourdir en chemin, Infinity War transcende le tout. Pour reprendre une référence connue, l’opus s’apparenterait à une troisième évolution Pokémon : un exercice emmenant la dynamique des frères au firmament de ce à quoi ils nous avaient pour le moment habitué.e.s : épique séquença guerrier – citons la scène de baston entre Doctor Strange et Thanos, merveilleux morceau de bravoure d’une physique peu respectueuse des équations d’Einstein -, méchant fanatique d’une profondeur émotionnelle rare (suivant – et dépassant – le contre-pied apporté par Zemo dans Civil War) parvenant même à crédibiliser des scène de pathos à l’issu pourtant évidente, dosage parfait entre les très nombreux personnages, multiple rebondissements et fin ô combien inattendue… Une maîtrise impressionnante.

L’humour du désespoir :

Mis à part écrire des personnages féminins crédibles, il y a peu de choses que les frères Russo ne sachent faire ; mais l’humour aurait pu être l’une d’elles. Or, la gaudriole est progressivement devenue une composante première de la galaxie Marvel, ton d’abord instauré par le traître Joss Wedon et déployé tout au long des différents épisodes pour finir en apothéose avec le Thor : Ragnarok de Taika Waititi (preuve que cette recette fonctionne : même Honest Trailers n’a pas réussi à tacler une production en passe de devenir la meilleure de l’univers Marvel). Le talent des Russo n’est plus à prouver dans la mise en scène de bro-tragédies épiques ; au vu de son histoire dramatique, l’humour allait-il néanmoins être au rendez-vous d’Infinity War ?

Eh bien oui, parfaitement, le film se mouvant habilement sur un fil tissé entre l’hilarité complète et la crise de larme générale. Si plusieurs scènes présentent cette tension permanente vous forçant à osciller entre rire et pleurs, l’une d’elle incorpore la dynamique jusqu’à l’extrême : perdu.e.s sur Titan, les Gardiens accumulent les remarques absurdes tandis que Spider Man et Star Lord se perdent en battle de références cinématographiques ; au centre de ce cirque tangue Tony Stark, figure du leader dépité, tordu par une moue désabusée suintant l’appel au meurtre ou l’autolyse. S’il est peu probable que les Russo connaissent Kaamelott, cette friction entre humour mordant et déprime galopante face à l’inéluctabilité de la fin ferait presque écho à Legenda, épisode où Arthur, las de l’écrasante tâche qui lui incombe et de l’incompétence de ses chevaliers, suppose le meurtre de ces derniers et son suicide. Une véritable réussite et la preuve d’une intelligence certaine de la part des frères Russo ; après tout, les personnages les plus drôles sont souvent les plus malins – et les plus tristes.

Le film popculture ultime :

Triste nouvelle pour Ready Player One : si son simple visionnage ne suffisait pas à vous convaincre de sa piètre qualité, Infinity War nous démontre par la preuve du contraire que le film de Spielberg est aussi passé à côté de sa mission première : être une méta-oeuvre puisant sa sève au sein de l’immensité des cultures geek. Même si Peter Parker nous mettait sur la voie dans Civil War via son désormais célèbre « Have you ever seen this really old movie?« , se présenter comme un objet popculture référentiel n’a jamais été la promesse du dernier volet d’Avengers. Pourtant, l’opus s’est blindé de clins d’œil culturels plus ou moins directs, jusqu’à devenir une sorte d’Inception de punchlines pop mettant en abyme sa propre mythologie avec celle des autres grands univers fantastiques occidentaux dans lesquels aiment à se perdre geeks et geekettes moyen.ne.s. Pêle-mêle s’invectivent donc Harry Potter, Game Of Thrones, les Beatles, Alien, Footloose, le discret mais joli appel du pied au mouvement #BlackGirlMagic avec Shuri, Flash Gordon, le « motherfucker » avorté de Nick Fury – véritable marque de fabrique de Samuel L. Jackson -, le « where is my stone » de Thanos au Collectionneur rappelant directement la réplique du même Bénicio del Toro dans Snatch… À nouveau, la scène sus-mentionnée sur Titan est un parfait exemple de ce savant mélange où popculture et humour renversent l’ordre des priorités en clashant le sérieux de la mission première, le duo des Peter se disputant sur la qualité discutable de Footloose et oubliant, par la même occasion, l’enjeu dramatique imposé par Thanos.

À voir, à revoir, et à re-revoir.