Regards Croisés #10 L’épilation intégrale

©Flickr - Ben Raynal

Il est de ces questions qui reviennent inlassablement dans les groupes Facebook des françaises à … (compléter avec la ville où vous êtes en ce moment) : Connaissez-vous un bon coiffeur ? un bon gynéco ? ET, l’incontournable : une bonne esthéticienne ?

Oui parce que de la même manière que le restaurant chinois s’adapte à son pays d’accueil, le passage chez l’esthéticienne peut considérablement varier en franchissant la frontière.

Un poulet à la citronnelle en France, ©clo-sensuous-delights.blogspot.com

 

Un poulet au citron en Angleterre

Prix, techniques, on a du mal à s’imaginer qu’il y ait tant de différence pour quelque chose d’aussi simple qu’arracher un poil, et pourtant !

À Berlin la question revient d’autant plus que les salons d’esthétique ne sont pas omniprésents. Fait étrange, c’est comme s’ils se cachaient. Alors qu’à Paris on identifiera au premier coup d’œil le salon Body Minute en bas du boulot, à Berlin on a beau ouvrir grand les yeux, non vraiment, c’est comme s’ils n’existaient pas. Les quelques plaques qui signalent un salon d’esthétique là au fond de la cour troisième porte à gauche, nous font vaguement penser à ces « salons de massage » dont on se demande toujours si c’est VRAIMENT un massage ou si c’est un massaaaahge (à prononcer avec beaucoup de points de suspension). Les réponses aux posts Facebook renvoient vers des salons turques, brésiliens, je me suis moi-même retrouvée une fois chez une russe, mais une bonne vieille chaîne allemande genre « Körper Minute », jamais entendu parler.

C’est grâce à l’un de ces posts Facebook que j’ai trouvé mon esthéticienne à Berlin. Turque of course. Salon très sympa, au 3e étage deuxième cour intérieure porte de droite (vraiment étrange je vous dis), jusque-là tout allait bien, l’annonce du prix aussi (35€ pour demi jambes, aisselles, maillot) et puis on a parlé maillot.

En France on connaît le traditionnel : « échancré » (comprendre, ce qui dépasse de la culotte de grand-mère), « sexy » (comprendre, ce qui dépasse du mini string spécial troisième date), intégrale (comprendre, non mais ça va pas la tête ?). En Allemagne j’ai découvert « bikini» (comprendre, ce qui dépasse de ta culotte de grand-mère en coton détendu par les années) et « komplett » (comprendre, l’intégrale totale de chez totale, raie des fesses incluse, la base quoi). Déçue par mon « bikini » de la première séance, me voilà tentant d’expliquer à ma deuxième séance ce que j’aimerais avoir « Oui alors les côtés voilà, et le dessus oui très important mais sinon non c’est bon ». Mon esthéticienne a eu l’air complètement perdue, m’a redemandé 1000 fois de lui remontrer, et a fini par me demander d’une petite voix « Euh mais je peux vous demander pourquoi vous voulez garder des poils en fait ? », en gros je l’avais profondément choquée.

Une expérience qui a eu de quoi alimenter les conversations poils entre mes copines et moi. Françaises d’abord. La pression sociale allemande a eu raison de toutes celles qui ont débarqué à Berlin il y a plus d’un an : « J’enlève tout ». Au rasoir à la maison pour les douillettes, à la cire chez l’esthéticienne pour les warriors. Je ne donne pas cher du poil de celles qui en sont encore à chercher sur Facebook des adresses. Dans quelques mois ce sera peau de pêche.

Du coup j’ai demandé aux Allemandes.

« Non mais les filles, qu’on soit claires, en France on a le cliché de l’Allemande poilue de partout, touffe sous les bras et buisson fourni, alors qu’en fait c’est le diktat de l’épilation intégrale.

« Une Allemande, ça ressemble à ça, non ? » (Photo de Nena, mais siiiii, 99 Luftballons)

-Question d’époque. Dans les années 70-80 c’était franchement libre, on a tous en tête l’image de Nena, mais depuis les années 2000 tout le monde se rase intégral, c’est clair.

-Tous les jeunes d’aujourd’hui s’épilent intégralement en tout cas, le contraire serait impensable », précise ma collègue de vingt ans tout juste.

Oui parce que quand elle dit « tout le monde », ma copine Birgit parle bien de « tout le monde », hommes compris. Un copain français me racontait comment il subissait le regard réprobateur de tous les hommes présents dans les vestiaires de son club de badminton chaque fois qu’il passait sous la douche. Lui qui n’a jamais approché un rasoir de son torse et encore moins de son sexe. En effet, j’ai eu la surprise de constater que les quelques allemands passés dans mon lit avaient pris soin de tailler si ce n’est d’épiler entièrement la zone intéressée.

En France, petite recherche Google, et là je demande MAIS SÉRIEUSEMENT quel est votre problème avec l’Islam les gars ???? (Cf Regards Croisés / Chambre à part). Le Figaro s’interroge, l’Express fait un papier… Mmm ok, du blabla du blabla.

En Allemagne, on sent que l’homme est grave concerné. On ne tombe pas sur des articles lifestyle société, mais de vraies méthodes et produits adaptés.

Est-ce qu’on doit se réjouir que l’homme se prenne autant la tête que la femme, pour qu’au final nos petits corps tout lisses fassent tout bien l’amour ensemble ? Non, parce que pour citer ma collaboratrice, « jusqu’à preuve du contraire, personne n’est mort d’un poil coincé dans le gosier. »

« Ce qui m’embête dans tout ça les filles, c’est la pression sociale. Combien de fois ai-je hésité avant de proposer à un mec de rentrer chez moi car je ne m’étais pas épilée ? »

Acquiescement de mes collègues.

Pourquoi ce self-shaming ? Pourquoi cette haine du poil ? Et là je vous renvoie pour de bon à la complainte du poil.

Alors oui, soyons honnêtes, le nez dans le buisson, féminin ou masculin, il y a plus agréable. Mais entre le naturel de Sandrine Bonnaire dans Police, et le petit abricot de votre nièce de sept ans, il y a un monde.

Ça s’appelle devenir femme. Ça s’appelle s’aimer. Ça s’appelle se respecter.

Alors oui, si vous êtes vous-mêmes poilophobes, pourquoi pas, mais je ne le suis pas, et j’aimerais quand même pouvoir m’épiler comme je le souhaite, sans me sentir coupable d’attraper un rasoir, ni me sentir coupable de me contenter du ciseau.

Du côté allemand, on continuait à acquiescer à demi-mots, jusqu’à ce que Birgit nous raconte une anecdote qui a mis tout le monde d’accord :

« Quand j’étais ado, il m’arrivait de dormir chez ma grand-mère, un soir, ni elle ni moi ne pouvions dormir, on s’est retrouvées devant la télé où passaient quelques pubs pour le téléphone rose et autres services d’escort. Et là, ma grand-mère me sort « Birgit, mais enfin c’est incroyable, est-ce qu’aujourd’hui toutes les filles se ressemblent à ce point ? On ne peut plus les différencier l’une de l’autre ! Avant c’était pas comme ça, chacune avait son petit truc en plus, les frisées, les blondes, les rousses, les touffues… » »

Et, contre toute attente, le premier à acquiescer fut l’un de nos collègues masculins, ce que j’ai personnellement trouvé formidable.

Alors c’est décidé, je continuerai à expliquer à mon esthéticienne ce que j’attends d’elle, qu’importe ses regards. Je dirai à mes amants allemands que moi, on me prend, d’accord, dans le lit ou sur la table je m’en fous, tant qu’on prend mes poils avec. Sinon : TSCHÜSS.

En Bonus si vous ne l’avez pas déjà vue :

Image d’illustration : Flickr – Licence CC – Ben Raynal