Enceinte

CHLOE SHEPPARD’S LOVER, LOSER, LONER

Ce matin, sur mon vol Berlin Düsseldorf de 6h35, j’ai fermé les yeux, j’ai rêvé. J’ai rêvé que j’avais un bébé. Enfin imaginé. Ce genre de pensées que nous les filles on connaît bien quand on a trois heures de retard sur nos règles. Moi ça fait deux mois que je les attends donc vous imaginez que ce genre de songes court-circuitent assez souvent le flux tranquille de mes pensées, ouvrant le tiroir freak qui, l’espace d’un instant, serre mon coeur trop fort : OMG je suis enceinte, OMG j’ai oublié d’éteindre les plaques, OMG il manque pas un aileron sur le bout de l’avion là ?!). J’ai donc rêvé que j’étais enceinte de moi-même, car mon absence de règles n’est pas due à un quelconque craquage (mais oui promis, on dira qu’elle était trop petite mon chéri) mais bien à l’arrêt de ma pilule (allô le corps, ici Jule, on se réveille). J’ai rêvé que des médecins m’interrogeaient, qu’on parlait de moi dans les journaux du monde entier, et qu’un jour, au coin du feu, nue et un peu ivre de génépi dans un refuge de haute-montagne, je dirais à un Français brûlé de soleil : « Mon secret le plus gênant ? Tu te rappelles en 2017, la fille qui s’était auto fécondée ? C’était moi ». Dans mon rêve je me suis mise à penser à ma copine S. qui a fait son coming-in il y a un an et qui depuis me répète souvent : « Ben t’sais quoi, deux ans sans homme et je me porte très bien », quand ce n’est pas : « Franchement les hommes ça ne me manque pas du tout tu vois ! ». À chaque fois qu’elle me dit ça j’imagine un monde rempli de femmes. Je me demande comment ça serait et surtout je me demande où en sont les recherches sur la fécondation d’un ovule par un autre ovule (on parlait de ça un jour à la télé), et je me dis qu’étant donné que parmi les personnes qui financent ce genre de recherches, la grande majorité sont des hommes… Dans quelle mesure pourraient-elles aboutir ? J’imagine un monde rempli de femmes et de femmes enceintes d’autres femmes. Ça fait un peu peur et en même temps ça me fait sourire. Parce que c’est très beau. Très doux. Il y a de jolies couleurs pastel et du rouge aux joues. « Je ne te cache pas qu’on a des accessoires ». Mon accessoire à moi il fait dix-huit centimètres, quatre centimètres de diamètre, il a la couleur des vieux iMac violets un peu transparents et il est nervuré. Quand la police est rentrée chez moi la semaine passée il trônait sur le bord de mon lavabo. J’en avais fait un porte-bijoux et j’avais envoyé la photo à ma copine M. En partant j’ai hésité à le ranger dans sa boîte en haut du placard et puis je me suis dit « quelle est la probabilité que tu rentres avec quelqu’un ce soir ? ». Comme quoi… Je me demande bien ce qui a pu se passer dans la tête des pauvres policiers, et j’entends le rire de M. : « imagine si en plus ils avaient été Suisses Allemands ? ».