Conte Moderne : Cendrillon

Flickr - CC - Zirnitra Photography

Parfois on se promène dans la rue et on vit un vrai moment de poésie. Digne d’une belle (ou bien moche) histoire, qui a tout du conte de fée. Du conte de fée 2.0 toutefois. Ouvrez bien les yeux, il se pourrait que vous aussi soyez l’héroïne d’un conte de fée moderne. Aujourd’hui : Cendrillon va à la Poste et rencontre un Prince Charmant.

Il était une fois une jeune femme qui avait cours à 8h00 à la fac mais qui ne pouvait pas y aller car elle devait passer à la poste poster un colis à sa mère-grand (wesh yo le verlan ça date pas d’hier) et que la poste n’ouvre qu’à 8h30. A 8h40 — parce que dans le sud on n’est pas des gens pressés vous voyiez ma bonne dame (‘tain madmoizelle t’as vu il a dit qu’t’étais bonne gros), le postier a daigné ouvrir la porte et la jeune femme a pu poster son colis grâce aux machines magiques — et payer 30 balles parce que mère-grand habite en Allemagne chez les ch’leus et que colissimo international c’est pas donné donné.

La jeune femme, délestée de pas mal de billets, met ses écouteurs pour se protéger du relou du métro et descend les escaliers de marbrures de chewing-gum pour gagner sa monture automatisée. Là surprise, le métro l’attend, portes grandes ouvertes, elle trouve même une place. Mais au moment d’écrire à ses méchantes soeurs pour savoir si elles ont bien pensé à l’excuser auprès de l’horrible professeur de linguistique, la voix douce et cristalline du métro retentit :

— La ligne A est interrompue pendant 20 minutes. Si vous allez à l’université nous vous recommandons de prendre la citrouille garée à la sortie du métro.

La jeune femme soupire, hésite, puis sort du métro. Elle se dirige vers les escaliers quand soudain la clochette douce et cristalline du métro retentit. BMUUUUUUUUT. Les portes se referment et le métro part dans un souffle. DANS TA GUEULE.

La jeune femme pousse un petit soupir délicat PUTAIN DE MERDE FAIS CHIER quand elle croise le regard d’un jeune homme tout près. Scène au ralenti, multiples plans en cascade, scénariste Alain Robbe Grillet, bim bam boum regard, regard de braise, regard noir, regaaaard. Déclaration:

— C’est de ta faute! Je t’ai vue sortir alors je suis sorti.

Elle se reprend, se reconstitue une fierté après ce beuglement inédit, puis murmure:

— En même temps si tu vas à la fac, tu es déjà en retard.

— Non je vais au boulot. Toi tu vas à la fac?

— Oui.

— Tu as cours à 9h30?

— Non à 8h00.

Il sourit. Tant de rebellitude, tant de prestance dans cette décision effrontée.

Je devais aller à la poste — oui alors ça on s’en FOUT complètement arrête de parler grosse débile.

Les deux jeunes gens montent ensemble dans le métro revenu, se font écraser contre la porte d’en face comme d’habitude, mais ce jour là ils n’ont pas l’air de s’en préoccuper, trop occupés à se regarder dans les yeux et à sourire comme des gros niais. Les stations défilent et jamais la jeune femme ne pense à lui demander quoi que ce soit du genre « Euh et sinon t’as une copine? Euh et sinon t’as un 06? Euh et sinon t’as une carte de visite ». Elle rit niaisement. Puis soudain:

— C’est quoi ton nom?

— Géraldine. En fait c’est le prénom de ma reum mais le jour de ma naissance elle-

— Géraldine comment?

— Géraldine Razpokivanojkvic.

— Ah.

Merde. Il est raciste? C’est un prince charmant raciste des gens de l’est ?

— Bonne journée Géraldine.

Elle le regarde sortir, un coup de vent arrache au jeune homme un de ses gants de cuir (mmm cuiiiir) qui vient s’échouer aux pieds de la jeune femme. Il est trop tard pour le lui rendre, les portes se referment.

MAIS IL SE FOUT DE MA GUEULE?! Pourquoi il m’a pas demandé mon numéro?! Putain mais au temps où Facebook existait pas on demandait leur numéro aux gens c’est PAS POSSIBLE à la fin.

La jeune femme se dit qu’en plus elle pourrait ne pas être sur facebook! — Bon elle y est donc la question ne se pose pas mais QUAND MÊME! Comment qu’on fait si j’ai pas facebook?

De son côté le jeune homme panique. Keskeladit? Ibrahimovic? Non ça peut pas être ça. Heureusement c’est un conte moderne ultra moderne et le jeune homme a plus d’un tour dans son sac:

Recherche facebook sur le prénom seulement (parfois Facebook fait des suggestions d’amis de gens qu’il n’aurait théoriquement AUCUNE RAISON de pouvoir suggérer donc bon…). Rien pour Géraldine. Il tape alors tous les mots-clés possibles dans Google. Géraldine, linguistique, la poste, métro. Plusieurs résultats.

Sauf que ça ne peut pas être Géraldine Mourgand. Il s’en serait rappelé de Mourgand si ça avait été Mourgand. Et que ça peut pas être celle de 53 ans mariée parce que non quand même il lui donnait pas 53 ans.

Il se dit que quand même elle est un peu blonde la Géraldine là, elle aurait pu lui demander son nom à lui vu qu’il s’appelle Bastien Roux. C’était plus simple quand même!

Ouais bon non c’était peut-être pas plus facile en fait.

Heureusement pour lui, en réduisant les mots clés, et en introduisant un peu de géolocalité, Bastien finit par trouver la liste de tous les étudiants de la fac située sur la ligne A du métro qui font de la linguistique. Il trouve 8 Géraldine (quand même qu’il se dit, ça en fait de la Géraldine en linguistique), il n’y a plus qu’à les chercher sur facebook et dans google images, et elle est là: oui c’est elle! Il va pouvoir récupérer son gant!

Le soir même, la jeune femme, Géraldine donc, continue d’actualiser sa page facebook en fixant les deux bonhommes quand soudain : TING (enfin TUDU plutôt le son de Facebook) demande d’ajout. C’est LUI. Elle caresse le gant de cuir sur ses genoux… Elle va pouvoir le lui enfiler doucement…

Ils burent plein des verres, mangèrent plein des tapas et se séparèrent 15 jours plus tard.

FIN.