Bon anniversaire Gloria Viagra !

©Ünal Yakup Cynar

Michel, aka Gloria Viagra, icône drag berlinoise, a 50 ans. Retour sur 30 années de travestissement.

Gloria Viagra, « l’empire state building of Drag » comme aiment l’appeler les journalistes américains en référence à sa taille autant qu’à son charisme, l’icône drag berlinoise, DJ drag internationale, vient d’avoir 50 ans. C’est la révélation pour tous ceux qui se sont vus répondre «  blonde » chaque fois qu’ils ont tenté de lui soutirer cette information. Michel a 50 ans donc, mais Gloria elle, n’a pas 50 ans, si ? « En un sens si. J’ai l’habitude de dire que je suis venu au monde couvert de paillettes. Je me suis toujours travesti. Enfant avec ma sœur on organisait des défilés de mode à la maison, je portais de longues chemises de nuit en guise de robe, donc, en un sens, Gloria aussi va avoir 50 ans. »

Gloria entre dans la vie de Michel quand il a 20 ans. Apprenti danseur professionnel, il participe avec des copains à une « télé libre », comme il l’appelle, une chaîne où chacun est le bienvenu pour faire un peu ce qu’il veut. « Un soir on a décidé de faire un show à la mode sixties. Mes copains m’ont maquillé et on a dansé sur « da doo ron ron », la version de Tracy Ullman. » (Il fredonne l’air en mimant la chorégraphie de ses mains). « Le spectacle fini, je n’ai plus eu envie d’enlever le maquillage. » 50 moins 20, 30 ans, c’est donc l’âge de Gloria.

Un âge important, puisque c’est à 30 ans que tout bascule pour Michel. « Je ne me rappelle pas vraiment de mes fêtes d’anniversaire pour mes 20 ou mes 25 ans, par contre je me rappelle très bien de mes 30 et de mes 31 ans. Mes 30 ans parce qu’il ne s’est absolument rien passé de spécial. Quand on est jeune on se dit toujours oh là là 30 ans mon dieu, et puis en fait non, rien. Par contre mes 31 ans ont été spectaculaires. Je travaillais au SO36, on a fait une grosse fête, mais surtout, c’est là que ma personnalité a changé, que Gloria a vraiment pris de l’ampleur. » Le SO36, scène de concert et club mythique de Kreuzberg, Michel y a travaillé 9 ans. Sa carrière de danseur très tôt avortée – il se déchire le ménisque et ne se remet jamais totalement de l’opération, il part deux ans à Barcelone puis revient à Berlin et travaille dans les coulisses de l’opéra, mais cela ne lui suffit pas. Le monde de la nuit prend alors de plus en plus de place. Aujourd’hui ce sont les deux genoux qui sont fragiles, ce qui n’empêche pas Gloria de se déhancher sur des talons toujours plus vertigineux. « Les talons ça va, par contre je ne vais pas sauter d’un mur de trois mètres. De toutes façons je le vois bien, depuis trois-quatre ans, mon corps ne me suit plus très bien. Je n’ai plus 25 ans c’est clair. » Lui qui pratiquait la danse, les claquettes et le trampoline, ralentit désormais sur le sport – mais pas sur la fête, n’exagérons rien, et savoure une sérénité toute nouvelle. « Quand on a 25 ans. on a toujours peur de rater quelque chose. On veut tout faire, être partout, on est trop nul si on ne va pas là ou là. À 50 ans, on a vécu assez de choses pour avoir bien moins peur de rater quoi que ce soit. C’est bien moins grave. On est plus flegmatique à 50 ans, oui ».

25 ans pour Michel, c’est le moment de la chute du mur. « J’ai tout raté, tu le crois ?! Je passe toute ma vie à Berlin, et le soir de la chute du mur et les 2 jours d’après, je suis à Francfort sur un défilé de mode. Le matin on est à l’hôtel en train de petit déjeuner et tout le monde nous dit « le mur est tombé, le mur est tombé, allumez la télé bon sang ! ». Je suis rentré à Berlin, et un mois après j’étais déjà reparti. J’avais depuis longtemps décidé de partir à Barcelone. Quand je suis revenu deux ans après c’était très impressionnant. Je me retrouvais dans une toute autre ville. C’était, littéralement, une autre ville ! Il m’a fallu presque deux ans pour m’y habituer, me repérer dans la partie est de la ville. Tout était nouveau, et surtout tellement gris… Et puis tous ces clubs, toutes ces soirées où l’on devait escalader un mur, traverser une cour, un terrain-vague, descendre des escaliers pour accéder à des caves étranges… À Barcelone, la scène techno des années 90 était déjà très commerciale, du coup c’était un vrai choc. »

Des terrains vagues, des fêtes clandestines, on a du mal à s’imaginer cela aujourd’hui quand on déambule dans les rues boboïsées à l’extrême de Prenzlauer Berg et Friedrichshain. De quoi nourrir une certaine nostalgie. « Berlin à l’époque c’était une île. Une vraie île, où atterrissaient tous ceux qui ne voulaient pas faire leur service militaire puisqu’on en était dispensé. Il y avait toute une communauté de gauche et d’extrême-gauche, de très nombreux mouvements, des revendications dans tous les sens. J’ai été élevé là-dedans, on m’emmenait aux manif’, j’avais six ans. Et puis le bloc de l’est est tombé et ça s’est un peu calmé. Je regrette ce temps-là, où politiquement on pouvait faire bien plus de choses, on aspirait, on imaginait bien plus de choses. » Et aujourd’hui, qu’y a-t-il à Berlin qu’il n’y avait pas à l’époque ? « Toute cette diversité. On descend dans la rue et on entend toutes les langues du monde. Pour autant je crois que Berlin a gardé son charme d’autrefois. Même avec la gentrification qu’on subit depuis ces dix dernières années, Berlin reste à l’image des Berlinois, « rotzig », sale, provocante, impertinente. Il y aura toujours des espaces de liberté à Berlin. Ce ne sera jamais lisse, policé, comme à Munich ou à Hambourg. » La gauche radicale dans laquelle grandit Michel laisse des traces. Gloria s’engage volontiers, s’intéresse. Lors des dernières élections législatives, le magazine Siegessäule lui laisse carte blanche pour interviewer les représentants de chacun des partis.

Gloria est une star. Sur Facebook, on trouve des photos d’elle avec Conchita Wurst, Lady Gaga ou encore Peaches, qu’elle connaît bien d’ailleurs. « J’avais croisé Peaches au Ostgut quand elle était à Berlin (l’ancien Berghain ndlr). On cherchait des gogos avec mon groupe de rock Squeezebox, des personnes tatouées, des beautés non conventionnelles, et on s’est retrouvé à travailler avec des danseuses de Peaches donc on s’est croisés, elle a fait quelques apparitions sur scène avec nous, et puis plus tard elle m’a invité sur des plateaux télé ou pour des pièces de théâtre ». Elle lui chantera même une chanson pour son anniversaire.

Avant Peaches, c’est un autre chanteur qui s’installe à Berlin : David Bowie, à quelques pas de chez Michel justement. Il a alors une dizaine d’années. « C’était l’époque où il était avec Romy Haag. Ma mère et sa copine allaient souvent aux concerts de Romy. Elles s’asseyaient au premier rang et fantasmaient toute la soirée sur ses robes. Elles adoraient ces soirées parce qu’aucun homme ne venait les draguer au bar, elles étaient tranquilles, tout le monde était gay ! Elle revenait à la maison et me décrivait en détails les formes, les couleurs des robes qu’elle avait vues. Bowie avait sûrement dû être plusieurs fois dans la salle, mais malheureusement on ne m’a jamais emmené, j’étais bien trop jeune. »

Michel grandit, devient un homme, et en fait sa marque de fabrique : qu’il soit Michel ou Gloria, la moustache est toujours là. « J’avais vu ça en Israël et trouvé ça génial. Un jour je n’avais pas de rasoir, alors j’ai gardé la moustache. Les réactions ont été tellement fortes, hyper tranchées. Dans mon cercle d’amis, soit les gens détestaient, soit ils adoraient. Disons que 60% de la scène gay détestait. On me balançait des « t’as oublié de te raser » sur un ton très désagréable. D’un coup je ne rentrais plus dans les cases, ça n’allait pas. Avant la moustache, je flirtais énormément, en tant que Gloria, avec beaucoup d’hommes hétéros. Pourtant, sérieusement, une femme de 2,20 mètres de haut, c’est pas méga crédible… Mais à partir du moment où j’ai porté la moustache, c’est devenu impossible. C’était le frein ultime. Depuis Conchita, ça a beaucoup changé. Beaucoup de drags et transes portent la barbe, c’est même devenu une mode, et tant mieux ! » Rien à dire, il est vrai que transes et drags sont bien mieux acceptés. Pourtant, il reste à faire… « Ce qui est incroyable, c’est qu’ils ne sont toujours pas reconnus en tant qu’artistes. On nous embauche pour faire les clowns, on est les boute-en-train. On fait venir des drags aux soirées pour mettre l’ambiance, voilà. On n’est pas vraiment pris au sérieux, et donc par conséquent très peu payés. Je suis DJ, je mixe depuis plus de dix ans, et je ne suis franchement pas si bien rémunéré que ça. Beaucoup de drags sont de vrais artistes et devraient être considérés comme tels. »

Des combats que Gloria, icône depuis toujours de la scène LGBT berlinoise, connaît bien. Elle qui, aux dernières nouvelles, vient de se fiancer, fera-t-elle du mariage son nouveau cheval de bataille ? « NON. Non vraiment, non. C’est une institution vieille comme le monde, qui ne colle plus du tout aux réalités d’aujourd’hui. Mes amis qui sont en couple depuis longtemps ont tous des amants en dehors de leur relation, pour autant ils s’aiment et se respectent, c’est juste qu’ils fonctionnent comme ça. J’ai d’autres amis qui sont dans une relation à trois depuis 5 ans, et ils viennent de devenir quatre récemment ! Il y a plein d’autres formes de relations amoureuses, d’engagement, et le combat pour le mariage passerait à côté des vrais enjeux. Parce que la question est la suivante : une fois que ce combat sera gagné, est-ce qu’on aura encore la force pour se battre pour tout le reste ? Il y a tellement d’autres combats à mener ! Et puis je sais de quoi je parle, j’ai été marié ! Le PACS a été mis en place en août 2001, résultat, en novembre je me mariais avec mon copain de l’époque, un Roumain. Il n’avait qu’un visa étudiant et voulait arrêter ses études. C’était le seul moyen pour lui de rester. C’était génial, je me suis marié en drag. J’étais le premier à se marier en drag. J’avais cherché exprès une traîne plus longue que celle de Lady Di… Tout ça à la mairie de Schöneberg. » Rires.

Une vraie mariée, qui n’a pourtant jamais hésité à rester un homme. Dans un épisode de son show « Thekenschlampe », Tim Kruger s’étonne qu’elle n’ait pas de vagin. « Je suis un homme dans des habits de femmes » lui répond Gloria. « J’aime être un homme. J’aime ma part masculine. Tout a changé à mes 31 ans, quand Gloria a pris une plus grande place dans ma vie. Jusqu’alors j’étais le gentil Michel que tout le monde adorait, timide, brave garçon, et puis avec le masque de Gloria sur moi j’ai davantage osé, j’ai beaucoup appris, je m’amusais tellement à flirter avec tous ces hommes. J’aime cette double facette. C’est cliché de dire qu’on a tous une part féminine et une part masculine en soi mais c’est vrai. D’ailleurs, avant Gloria j’étais plus efféminé. Et depuis Gloria je suis beaucoup plus masculin. (Rires.) J’ai un ami hétéro, marié, avec des enfants, il se travestit régulièrement, il adore ça. Il aime atteindre la perfection. C’est vraiment une forme d’art. »

L’art, on y revient. De quoi plaire aux femmes également. Elles n’hésitent pas à flirter avec Gloria. « Oh là là oui, ça arrive tout le temps. Les femmes sont très impressionnées par moi. Complètement fascinées », et Gloria en profite, elle avoue dans un souffle que le flirt a souvent dérapé. « J’ai roulé pas mal de pelles, c’est vrai ! ».

Une vraie salope de comptoir, « Thekenschlampe », le nom de son émission sur internet. Trois saisons déjà qu’elle reçoit ses amis people (Romy Haag a fait partie des guest stars) pour les interviewer saouls, jeux d’alcool étant au rendez-vous à chaque épisode. « J’aimerais beaucoup reprendre le show, mes producteurs sont partants à condition que je ramène Conchita. Le truc c’est qu’elle ne veut pas se saouler devant la caméra. Beaucoup de mes amis people sont d’accord pour être interviewés, mais ils ne veulent pas boire pendant le show… Du coup il faut que je réfléchisse à un nouveau concept. Un truc dans une salle de sport, je ne sais pas, on verra ».
Alors en attendant de voir, on retrouve Gloria sur scène le 11 juin 2016 au YOYO au Palais de Tokyo pour les 25 ans de Paris Aquatique.

Illustration : Facebook Gloria Viagra – © Ünal Yakup Cynar