Swann

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On s’est rencontrés à cette soirée étudiante. Non, en fait on s’était déjà vus en classe d’anglais. J’avais changé, j’étais passée de B2 à B1 parce que finalement mon séjour en famille d’accueil à Plymouth était bien plus lointain que ce que je pensais. Je l’ai remarqué, « repéré » peut-être, est le mot qui conviendrait mieux, dès que je suis rentrée. Parce qu’il était assis là où je m’assois toujours, au premier rang, contre le mur. Mon regard s’est immédiatement posé sur sa chaise, sur lui donc, et j’ai rougis parce qu’il m’a souri. En fait je l’avais déjà vu avant, dans le métro, le jour de l’inscription. Je marchais derrière lui, sans le regarder vraiment, sans vibrer comme je vibrai ce jour-là en m’asseyant à quelques places de son corps fragile. J’ai reconnu son sac. En cuir brodé d’un fil rouge. J’avais ramené le même à mon frère quand j’étais partie au Tibet. Il s’appelle Swann. Comme du côté de chez. Comme les plumes blanches et noires. Un prénom chargé d’autant de vibrations… Je me dis que… Je ne me dis rien en fait, je le fais glisser sur ma langue.

On s’est parlés à cette soirée étudiante. Jeudi dernier. Il m’a dit « Salut Maia ». J’ai dit « hello » comme une idiote. Il a répondu « on peut se parler français tu sais ». J’ai dit « si ». Et là je ne me suis plus arrêtée de rire. Lui non plus. Autant de maladresses… Il a dit « Maia… » Et il a fait glisser son prénom sur sa langue. « Tu bois quoi ? », je n’ai pas dit « toi », parce que le rire avait fait fuir mon angoisse, j’ai dit « comme toi », bien plus approprié. Il m’a dit « rhum cola », j’ai dit « ah ». On a ri, encore. On a dansé après parce que le rhum arrangé, ce que j’ai fini par consommer, ça fait danser. Ca fait rire et danser, ça fait aimer, mais ça je n’en avais pas besoin, j’étais déjà emplie d’envie pour Swann et son corps fragile. Fragile parce que gracile, long, subtil, des courbes fines, rien d’imposant, un corps qui se glisse, tout le temps, maladroit, du genre à se cogner aux cadres de porte, même quand elles sont vitrées et qu’elles font tout le mur, du genre à éviter le soleil alors qu’il l’adore, du genre à s’excuser d’être là quand tout le monde flanche devant tant de rayons. Lumineux. Sombre et lumineux. Vraiment, Swan… Quel prénom…

Il y a eu cette heure peu subtile mais fatidique où j’ai senti que j’avais trop bu. J’ai marché jusqu’à la cuisine, j’ai vidé mon verre de rhum, je l’ai rincé, et j’ai bu, autant d’eau que j’avais bu d’alcool, règle de ma colocataire qui depuis qu’elle était appliquée, fonctionnait. J’ai bu, j’ai bu, j’ai ignoré les sarcasmes des autres, de l’eau, ben qu’est-ce qui t’arrive, et je suis allée à la salle de bain prendre l’air. J’ai ouvert la fenêtre, je me suis accoudée à la barre en fer, et j’ai laissé mon corps frissonner. Je n’ai pas entendu la porte s’ouvrir et se refermer. Maia ça va ? Oui ça va, j’ai trop bu et je m’en veux, j’ai peur de vomir sur tes chaussures, je sens que mon mascara a coulé, mon rouge à lèvres s’est étalé, mais ça va. Je suis juste ridicule. J’ai souri et je suis ressortie. Le mouvement des corps saouls, l’odeur collante d’alcool fort, la musique impossible, il était temps de partir. A plus en cours d’anglais. J’ai fait un signe aux quelques filles que je connaissais, j’ai attrapé ma veste, mon sac et je suis sortie. Dans le couloir de l’immeuble le presque silence m’a fait du bien, j’ai pris quelques secondes avant de m’engager dans l’escalier. Quatre heures trente. Oui il était temps de rentrer.

J’étais arrivée au deuxième étage quand j’ai entendu la musique s’élever dans la cage d’escalier. Quelqu’un avait ouvert la porte, quelqu’un dévalait l’escalier. Quelqu’un descendait vers moi. Bien sûr que j’espérais qu’il le fasse. Qu’il me poursuive. La scène avait due se jouer trois fois déjà dans ma tête depuis que j’avais refermé la porte de l’appartement derrière moi. Et le voilà qui arrivait.

« Tu pars ?
-Oui, je suis fatiguée.
-Ah. Mais on va se revoir ?
-Lundi en cours d’anglais.
-Tu sais ce que je veux dire.
-Tu as envie qu’on se revoit ?
-Si ça ne tenait qu’à moi tu ne partirais pas tout de suite.
-Je suis fatiguée.
-Je sais.
-Ce week-end si tu veux ?
-Oui. Je t’appelle. Rentre bien. »

La lumière s’est éteinte. Pendant une seconde je le voyais sur moi, ses mains sur moi, ses lèvres sur moi, puis elle s’est rallumée. Il n’était plus là. C’est lui qui avait appuyé sur le bouton en remontant. Je me suis remise en marche. Arrivée au premier étage j’ai entendu ce que je rêvais d’attendre, ce que j’avais imaginé entendre à chacun de mes pas, la rampe tremblait sous mes doigts, il n’était pas remonté jusqu’à l’appartement, il avait fait demi-tour. Je ne me suis pas retournée, j’ai attendu d’être sur le sol du couloir du premier étage, je n’aurais pas voulu tomber.

Il a dit « Maia… » je me suis retournée et je ne l’ai pas laissé finir. J’ai tendu mes mains vers son visage et j’ai déposé mes lèvres sur les siennes. Il n’a pas été surpris, plutôt rassuré, son corps s’est doucement relâché avant de se tendre à nouveau, ses doigts se sont plantés dans mes hanches puis il m’a soulevée du sol pour me plaquer contre le mur derrière nous. La lumière s’est éteinte, et cette fois personne ne l’a rallumée. Ivre d’alcool et du reste je me suis laissée faire, sans réfléchir une seconde. Tant que le noir était là nous étions protégés. J’ai ouvert le bouton de son jean, sa braguette, il a passé ses mains sous ma robe, a écarté mon string du bout des doigts et m’a pénétrée comme ça. Dans le noir de cette cage d’escalier moite, sur le bruit des basses du cinquième étage.