Faut-il inscrire « Netflix » dans le Death Note ?

Après un première bande-annonce douteuse, nous l’attendions la peur au ventre. Puis la présence de Lakeith Stanfield et de Willem DaFoe au casting, ainsi que le surprenant traitement de Blame! par Netflix nous avaient quelque peu rassurés sur la capacité de la plateforme de streaming à nous pondre une adaptation de Death Note, sinon exceptionnelle, du moins correcte. Naïfs que nous étions.

 

Death Note, une joute de cerveaux en 12 volumes:

Revenons rapidement sur le manga, oeuvre comptant à sa manière parmi les réformatrices du genre. 2004 (mas o menos, dépendant de votre capacité à déchiffrer les kanji): le “Shonen” est sous le joug de la déferlante Naruto, imprimant durablement le schéma et les codes de l’odyssée héroïque sur la plupart des sorties en librairie: un héros adolescent sympa et un peu con, un Némésis taciturne, un méchant trop méchant, un voyage initiatique au but explicitement affiché, des blagues potaches et du combat en veux-tu-en-voilà; bref, une actualisation des mêmes ficelles qui avaient fait le succès de Dragon Ball. Puis Death Note a débarqué, rabattant les codes bien arrêtés de ce que le jeune moyen était en mesure d’apprécier en terme de bandes dessinées japonaises.

Si l’oeuvre se construit sur des thématique “aussi vieilles que le bisaïeul de Saturne” – la toute puissance adolescente, la morale humaine versus la sentence divine, les travers de la justice – et une histoire somme toute assez simple, le dessin (proche du « Shojo » dans son perfectionnisme), la profondeur des personnages et les méandres de l’intrigue font de Death Note une oeuvre retorse, captivante et sans fausses notes. Dans ce manga, pas de combats dantesques, de protagonistes larger than life ou de quêtes mystico-héroïques. Ici, le personnage principal est un jeune homme sans problèmes, adulé de tous, brillant étudiant d’un orgueil et d’une intelligence redoutables. Surtout, il s’adonne pendant 12 épisodes à une quête violente et totalement répréhensible, prenant ainsi le contre-pied du héros de « Shonen » établi. Son Némésis, antagoniste pas vraiment antithétique, suit une logique similaire où tous les moyens semblent justifier la fin. Death Note se présente donc comme la narration d’un combat non pas du Bien contre le Mal, mais de deux égos surdoués déployant deux visions opposées de la justice et de la moralité. Une épique partie d’échec, dont la traumatisante issue se révèle à l’opposé de ce que tout lecteur habitué au « happy end » était en droit d’attendre.

 

Death Note version émo-Twilight:

Il serait trop fastidieux d’énumérer l’ensemble des majestueux plantages de l’adaptation Netflix, cette dernière étant passée à côté d’à peu près tout ce qui faisait le génie des 7 premiers tomes du manga. Nous avons donc préféré vous dresser un liste des personnages principaux, notés en terme de « Street Cred’ Death Note » et « Street Cred’ Netflix ». Voilà le résultat:

Light Turner:
Disons le tout de suite: Light Turner est aussi proche de Light Yagami qu’un poisson est proche de l’ordinateur Deep Blue (désolés pour la comparaison, nous n’avons pas trouvé mieux). Light Yagami était un personnage froid, calculateur, hyper intelligent, quasi toujours au contrôle de ses émotions. Light Turner semble tout droit sorti d’un roman pour « jeune adulte »: un adolescent colérique, dilettante et irresponsable. Au fur et à mesure de sa quête sanguinaire, Light Yagami parvenait à se hisser au niveau des grandes figures sociopathes jonchant la popculture japonaise (Johan Liebert, pour ne citer que lui). Light Turner parvient quant à lui à se hisser au niveau de votre petit frère tête-à-claque en pleine crise parce que vous lui avez botté les fesses à Tekken

Street Cred’ Death Note: 1 / 10 (parce qu’il s’appelle Light, et ça s’arrête là).
Street Cred Netflix: 3 / 10 (bonus pour son coup d’éclat final (le seul de tout le film), ainsi pour ses cris de pucelle effarouchée lors de sa rencontre avec Ryuk – nous avons presque ri).

L:
Difficile cas que celui de L. Il s’avère être la plutôt bonne surprise du début de film, incarnant correctement les attitudes physiques, mimiques compulsives et le phrasé (autant que faire ce peut) du modèle dessiné. Et puis tout s’effondre lors de son pétage de plomb suivant la disparition de Watari (l’un des moments les plus débiles de l’oeuvre – et la concurrence était rude -), Netflix ayant préféré la folie des passions au calcul froid et détaché de l’adolescent, trahissant tout ce qui faisait le génie et la saveur gauche de L. Dommage.

Street Cred’ Death Note: 4 / 10 (parce que Lakeith Stanfield donne vie aux attitudes obsessionnelles de L, lui apportant même une touche de sarcasme bienvenue).
Street Cred’ Netflix: 8 / 10 (il est à parier que si vous n’avez pas lu le manga, vous vous attacherez facilement au L version Netflix, personnage dans lequel vous retrouverez l’intelligence mordante de Sherlock et un certain sens de la badasserie. Nous proposons donc aux producteurs de la plateforme de le faire remplacer Iron Fist dans la saison 2 des Defenders).

Mia:
C’est la surprise mi-figue mi-raisin du film. Contrairement à la Misa de Death Note, Mia pose ses ovaires sur la table jusqu’à mettre à mal ses homologues masculins – à l’encontre donc de la nunuche péniblement amoureuse et inutile qu’est son modèle japonais -. La dotation d’un cerveau n’est malheureusement pas suffisante pour rédimer ses postures clichées d’adolescente trop rebelle, alternant entre scroll d’Instagram et meurtre de masse.

Street Cred’ Death Note: ? / 10 (Misa étant un personnage creux, la comparaison est ici difficile. Notons simplement que Mia est plus légitime à prétendre au titre de « Light Yagami » que Light Turner lui-même).
Street Cred’ Netflix: 8 / 10 (elle est brune, elle a les yeux bleus, elle a quelques soucis existentiels: c’est l’héroïne Netflix parfaite).

Ryuk:

Nous tenons presque un semblant de quelque chose de correct avec le personnage de Ryuk, grandement aidé par les qualités d’interprétation de Willem Dafoe. En plus d’un physique et d’un caractère proches de son homologue manga, le Dieu de la Mort se permet quelques sorties cabotines très bien venues. Le film s’est malheureusement senti obligé de lui attribuer un rôle de méchant actif, et non d’observateur. Notons au passage que Ryuk est également la victime malencontreuse d’une des plus belles incohérences de l’oeuvre (son nom écrit dans le Death Note plus la menace de mort de Light). 

Street Cred’ Death Note : 7 / 10 (outre les défauts énoncés plus hauts, nous l’aimons bien).
Street Cred’ Netflix : 9 / 10 (« un monstre méchant mais pas trop, badass et qui fait des blagues ? Chez Netflix, on a-dore ! »).

Les pommes:
Parfaites, rien à redire, les véritables stars du film.

Street Cred’ Death Note : 9 / 10 (Ryuk n’est même pas foutu de les manger correctement, mais l’idée est là).
Street Cred’ Netflix :10 / 10 (de très belles pommes, qualité premium – pour avoir bossé chez Carrefour, nous sommes légitimement en mesure de juger -).

 

Conclusion: « Je ne m’attendais à rien et je suis tout de même déçu » – Dewey

Voici le sentiment général laissé par un film qui accumule les fautes de parcours, prétendant se différencier de l’oeuvre originale mais incapable de véritables parti pris pour rendre cette démarche réelle. Faisant la part belle à des cordes narratives vulgaires (une histoire d’amour, sérieusement les mecs ?) et en essayant de jouer la carte de l’humour clairsemé, l’adaptation passe à côté de son matériau principal, à savoir la joute cérébrale entre Light et L. En résultent des incohérences scénaristiques, des erreurs lourdes (Watari, sérieusement les mecs ?) et des personnages d’un cliché presque grossier.

De manière plus générale, cette oeuvre dénote d’une tendance que nous espérons éphémère chez Netflix: construire de la fiction sur des schémas narratifs de plus en plus faciles, quitte à donner l’impression de prendre explicitement le spectateur pour un demeuré (va-t-on parler de la gelée qu’Iron Fist semble avoir à la place du cerveau, de l’hystérie clichée des personnages de Friends From College, des cordes pénibles de 13 Reasons Why ou des faiblesses scénaristiques des Marvel ?). Malheureusement, ce n’est pas en appliquant des recettes dignes d’un Macdonald’s de la fiction télévisée que Netflix sera capable de faire honneur à l’intelligence rare d’une oeuvre de l’acabit de Death Note.

En conclusion: non à un film Death Note; oui à une série. Oui à Netflix si les producteurs sont aussi fins (donc japonais) que ceux de Blame!. Mieux encore: oui à une adaptation produite par HBO, avec Bryan Fuller comme showrunner. Et oui aux pommes Carrefour.

 

Bonus fan service gratuit:

Crédit photo: Netflix, Takeshi Obata.

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