Marc et Alexandre, papas et famille d’accueil de Tom à Berlin

©Chloé Desnoyers

Marc nous reçoit dans son tout nouvel appartement en plein cœur de Kreuzberg. Un beau 100m² avec jardin, une belle surface qui était devenue nécessaire avec l’arrivée dans leur vie de Tom, 2 ans. Nous nous installons doucement au salon, Marc a fait un gâteau, vegan mais devrions-nous vraiment préciser ? Alexandre, son mari, est au boulot. Marc travaille désormais depuis la maison. Il est midi trente, c’est l’heure de la sieste.

Ma vie est régulée sur le rythme d’un enfant maintenant, il est quoi midi et demi ? Voilà. En général il dort entre trois quarts d’heure et une heure. Il est levé depuis six heures trente, moi depuis sept heures. Il est un peu décalé sur le matin, 6h30 réveil, repas à 11h, midi sieste, 17h30 douche, 18h dîner, 19h au lit. C’est un peu décalé par rapport à nous, mais c’est bien parce que comme ça on a encore quelques heures entre sept et dix où l’on n’est pas encore fatigué…

C’est depuis l’arrivée de la cigogne alors que tu es passé à ce rythme ?

Il est arrivé en septembre oui, donc ça fait six mois maintenant. C’était pas vraiment une cigogne. L’histoire c’est qu’il y a deux ans, Alexandre et moi on a décidé de devenir famille d’accueil, « Pflegefamilie » en allemand. C’est quelque chose qui existe aussi en France, mais en France c’est plutôt comme un travail. Moins de gens font ça pour le plaisir, dans une démarche uniquement humaniste disons. Mes parents par exemple étaient famille d’accueil. On a reçu deux enfants à la maison pendant presque un an, on était cinq, ma mère était au foyer, une organisation de colonies de vacances. Je ne l’ai pas très bien vécu, le gamin dormait dans ma chambre, pour moi c’était quelqu’un qui venait envahir mon intimité. C’était des enfants compliqués, je me souviens de leur mère qui débarquait saoule à la maison…

L’idée de la Pflegefamilie en Allemagne c’est d’accueillir des enfants entre 0 et 5 ans qui devraient partir en orphelinat. C’est un contrat à long terme (des contrats à court terme sont également possibles ndlr), alors qu’en France on a tendance à les placer dans plusieurs familles différentes, pour ne pas qu’ils s’habituent. Le concept est un peu bizarre…

On a donc entamé des démarches pour avoir un agrément, ça a duré pas mal de temps, deux ans en tout, on a eu des rendez-vous avec des psychologues, des conseillères, des questionnaires à remplir, et dès qu’on a eu l’agrément c’est allé assez vite.

En France tu disais que c’est plutôt vu comme un travail, de par la rémunération j’imagine, ce qui n’est pas le cas en Allemagne ?

Si, on est rémunéré ici aussi. Mais pas de quoi en vivre. Ce qui, de toute manière, n’était pas du tout notre intention. On reçoit 250-300€ du Jugendamt pour notre « travail », la nourriture, les vêtements, les jouets etc., à cela s’ajoutent les aides normales auxquelles ont droit tous les parents.

Parle nous de Tom un petit peu, quelle est son histoire ?

Tom a deux ans, il a une maman, célibataire, enfin on ne sait pas trop, avec une histoire sociale compliquée en tout cas, qui est au chômage, très jeune… Il a un papa, à qui il ressemble beaucoup d’ailleurs, mais qui ne l’a pas reconnu. Il a une sœur qui a un an de plus que lui, qui vit toujours avec sa mère par contre.

Ah bon ? c’est étrange non ? Et ça doit être compliqué à expliquer à Tom tout ça.

Tom a été retiré du foyer mais on ne sait pas exactement les tenants et les aboutissants de l’histoire. Il y a eu une décision administrative, c’est ce qu’on sait. Il a été retiré du foyer, placé chez sa grand-mère, puis chez nous. On rencontre régulièrement sa mère, tous les mois, dans les locaux de l’association par laquelle on était passé pour entamer les démarches. Ça se passe bien. C’est pas la fête bien sûr, mais ça va. L’idée c’est qu’on garde tout le temps le contact avec elle. On explique à Tom qu’il a une maman, un papa, et qu’il nous a aussi nous comme papas.

Jusqu’à quand Tom va-t-il rester chez vous ? Et y a-t-il un risque, ou une chance qu’il vous soit retiré si la mère va mieux par exemple ?

Tom est avec nous jusqu’à ses dix-huit ans. Si la mère va mieux, qu’elle se rétablit, qu’elle trouve un travail, il reste toutefois peu probable qu’il nous soit retiré car il se sera habitué à sa vie avec nous.

Bon, Marc, on ne va pas tourner autour du mot mille ans. Alexandre et toi vous êtes mariés, vous êtes donc une famille d’accueil homosexuelle.

Oui, on est marié ! En Allemagne toutefois, sous le statut particulier réservé aux homos de la « Lebenspartnerschaft », alors qu’en France le PACS est pour tout le monde. La France a quand même une idée de l’égalitarisme qu’il n’y pas en Allemagne où c’est communautaire. On fabrique quand même une loi juste pour les pédés quoi ! On ne ferait jamais ça en France, ça ne passerait même pas le stade constitutionnel, on ne fabrique pas une loi uniquement pour une catégorie de population, c’est comme la perte de nationalité, ça n’a pas de sens…

On pourrait se marier version française, mais pour ça il faudrait qu’on se démarie ici, pour se marier en France, pour ensuite faire reconnaître le mariage par l’ambassade ici, pour au final avoir l’équivalent de ce qu’on a maintenant. Beaucoup d’administration pour pas grand chose.

Et donc vous  avez eu envie d’avoir un enfant ?

Non c’est pas tellement ça. C’est plutôt… Avec Alexandre on a des projets, on fait des choses, on croque la vie, on bouffe la vie, on fait des choses ensemble… À un moment on s’est dit, l’adoption, mais je ne sais pas, dans « adoption » il y avait quelque chose de l’ordre « d’avoir, de vouloir son enfant comme tout le monde » alors que là c’est plutôt un don de soi, c’est aider les autres, aider le monde.

Une décision prise à deux ?

Je ne sais plus qui de nous deux a vu un article sur ça, alors on a creusé un peu, on a lu des articles sur des couples homos qui avaient déjà fait ça. Moi je vais souvent dans un Regenbogenzentrum à Schöneberg (« regenbogen » signifie arc-en-ciel) où il y a des couples homos qui se rencontrent. On va faire des activités là-bas avec Tom, on rencontre des gens qui ont la même histoire, il y a beaucoup de mamans qui font des fécondations in vitro, beaucoup de papas, et beaucoup de Pflegefamilien. C’est drôle, ce n’est pas du tout rare en fait. Enfin à Berlin. En Allemagne je ne sais pas. Et en France c’est encore compliqué…*

Et aujourd’hui ça correspond à vos attentes ?

Je ne sais pas si on s’attendait à quelque chose de particulier. À la fois c’est super dur, parce que ça prend toute notre vie, les projecteurs sont braqués ailleurs, c’est littéralement crevant, usant, et à la fois il apporte énormément. On gagne vraiment au change. Mais c’est très difficile avec l’administration allemande. Encore ce matin on avait rendez-vous à 8h30 au Jugendamt avec une femme qui a vu Tom deux fois trois minutes, et qui a le pouvoir de décision de ce qui va se passer dans sa vie, même si on n’est pas du tout d’accord. Par exemple on voudrait qu’il aille en crèche pour qu’il ait toujours le contact avec l’allemand, avec les autres, qu’il améliore sa concentration, qu’il ait des relations sociales, et elle n’est pas d’accord.

« Pour qu’il garde le contact avec l’allemand ? »

Oui, parce qu’au départ Tom vient d’une famille allemande, il parle juste allemand. Depuis son arrivée il apprend le français avec nous, et maintenant il parle plus français qu’allemand. Même si certains mots sont restés, « licht », « fertig », et puis il dit « ja » plutôt que « oui ». Alexandre essaie de parler allemand avec lui, mais entre nous on parle français, la langue de la maison c’est le français. On parle de ça dans les familles multilingues : la langue de la maison, la langue sociale, la langue de l’école…

Et dans tout ça, il va bien Tom ?

Oui ! Plus que bien. La première nuit qu’il a passé ici on a remarqué qu’il respirait mal, et puis ça a empiré, empiré, on a fini aux urgences, puis il a été opéré et depuis ça va vraiment mieux, il respire bien, il chante, il danse, il joue au foot. Mais c’était compliqué. On est en Allemagne, ce n’est pas notre pays, ce n’est pas notre langue, même si ça fait des années qu’on vit ici, qu’on travaille ici, ça reste différent.

C’est quand même fou de se dire qu’un couple homo amène son enfant à l’hôpital en le présentant comme son fils, et personne ne pose de question, en France ça ferait bizarre.

Sûrement, mais ici pas de problème. Dans le reste de l’Allemagne je ne sais pas, mais à Berlin vraiment il n’y pas de problème. Tu sais j’ai travaillé avec des gamins du tief Neukölln dans un lycée très banlieue, des gamins musulmans, turques, de seize ans, à fond dans la revendication, avec qui j’ai parlé homosexualité et il n’y avait pas de problème, le monde est comme ça c’est tout. Il y a un vrai travail éducatif qui pour le coup n’est pas mal fait à Berlin. En Allemagne je ne sais pas trop, surtout vu ce qu’il s’est passé dimanche dernier… (percée du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland dimanche 13 mars lors d’élections régionales ndlr)

Mais ici à Berlin je n’ai jamais eu de problème. Je me rappelle notre quatre-cinquième rendez-vous pour l’agrément on a fini par dire « Non mais vous avez compris là quand même qu’on est ensemble ? Ça ne pose pas de problème qu’on soit un couple homo ? » et elle nous a répondu que non pas du tout, et qu’en fait c’était même bien comme ça car il y avait souvent moins de problèmes avec les mères, qui se sentent moins jalouses face à deux « nouveaux papas ».

Mais bon il reste du travail, par exemple pour les impôts, le logiciel ne connaît que les cases M. et Mme, du coup on a une lettre où c’est marqué « Quand il est écrit Madame Dupont, il s’agit en fait de Monsieur Dupont » bref je suis « Madame Dupont ». Et pourquoi ? Parce que je gagne moins que mon mari. C’est chaud hein ! Je suis la femme, car je gagne moins. Ça la fout mal quand même… Là il y a peut-être un petit retard.

*En France les critères pour prétendre à l’agrément ne mentionnent pas la situation de la famille (monoparentale, homosexuelle…), toutefois il reste très compliqué pour un couple gay d’y prétendre. L’adoption est théoriquement autorisée depuis le 17 mars 2013.

Photo d’illustration : © Chloé Desnoyers