Quand Final Fantasy s’invite à la Philharmonie de Paris

Quel fan de RPG (jeu de vidéo de rôle) ne s’est jamais arrêté en pleine partie, perdu dans l’écoute de la bande sonore ? Et quel gamer n’a jamais rêvé de voir ses pièces favorites prendre vie devant ses yeux ? Les musiques de Nobuo Uematsu sont de celles qui vous transportent bien au-delà de l’oeuvre qu’elles illustrent. Absolue référence dans l’univers du jeu vidéo – et par effet tâche d’huile, dans le monde de la musique référencée – le compositeur japonais était à Paris afin d’assister aux “Symphonic Odysseys – Hommage à Nobuo Uematsu (orchestrées par Jonne Valtonen et Roger Wanamo); il en a profité pour accorder une session de question/réponse au public. Bien entendu, nous y étions – ce n’est pas comme si lui avions dédié un article il y a quelques mois de cela -. Nous vous racontons.

Bach, Super Mario et “Où sont les femmes ?”

Sans vous assommer d’une rétrospective complète des immersions de la musique de jeu vidéo – et plus particulièrement du RPG – dans la sphère symphonique, un petit rappel contextuel s’impose. Souvenons-nous que si le mélange des deux genres existe depuis au moins 1986 au Japon grâce à Dragon Quest, il fallut attendre le choc Final Fantasy VII  pour sa considération en Europe (1997). Outre les lettres de noblesse du style RPG sur le vieux continent, le 7ème du nom eut pour effet de propulser sur le devant de la scène le compositeur de ses œuvres musicales – dont certaines, à l’instar de One-Winged Angel, sont depuis devenues des incontournables -.

N’ayons pas peur des mots: Nobuo Uemastu est une référence qui dépasse de loin la communauté des gamers. Sa musique est réputée évoluer bien au-delà du jeu pour lequel elle a été composée: si le fan de Final Fantasy l’appréciera en partie par nostalgie, tout auditeur peut se retrouver dans “ces œuvres fantastiques” (Eckehard Stier). C’est donc naturellement que ses compositions ont trouvé leur place à la Philharmonie de Paris.

Malgré sa notoriété, Nobuo Uematsu reste étonnamment accessible. Et si, lors de la session Q&A précédant le concert, on pouvait sentir une certaine tension dans le public à l’idée de rencontrer le maître, son air détendu, ses effusions comiques et l’ironie mordante de sa traductrice auront tôt fait de détendre l’atmosphère. Ces 40 minutes nous auront donc appris que la composition préférée de Nobuo-sama – qui encouragera grandement la prise de parole féminine tout au long du débat – est Road To Zarnakand, qu’il s’interdit de regarder les Ghibli par peur d’être trop influencé, qu’une de ses inspirations principales est le Concerto en Mi majeur de Bach, que lui aussi pleure pendant les moments émotion de Final Fantasy, et qu’il considère l’air de Super Mario comme un légitime aspirant au poste d’hymne national japonais.

Préférant l’honnêteté concise à de grandes effluves explicatives (par exemple: à l’entendre, son départ de Square ne tient en rien d’un divorce difficile mais plutôt de problématiques logistiques: “l’entreprise a déménagé, ça faisait trop loin pour moi. Vous n’avez pas idée des embouteillages à Tokyo !”), il apporte également des réponses inattendues quant à sa musique. Alors que Eckehard Stier, grande figure de la direction, qualifie ses orchestrations de “absolument parfaites”, l’intéressé préfère comparer ses œuvres à un simplissime dialogue: “Je n’ai pas de formation musicale traditionnelle; de fait, quand je compose je fais comme si je racontais une histoire. Et comme je n’ai pas de langage complexe, je raconte avec des mots simples. En conséquence je compose une musique assez sobre, analogue à de la littérature légère… Mais qu’est-ce qu’il y a de mal à ça (sourire) ?”

La fluidité comme marque de fabrique:

Nobuo Uematsu parle également en termes espiègles de son travail avec Hironobu Sakaguchi (créateur de la franchise Final Fantasy): “Ah bon, notre relation a été comparée à celle de Steven Spielberg et John Williams ? Je ne sais pas si c’est très flatteur pour eux (éclats de rire de l’audience). C’est une question que l’on me pose souvent, mais notre lien est simplissime à expliquer parce qu’il est basé sur une confiance forte (…). Parfois, le producteur donne des consignes très strictes sur la musique. Mais pas Sakaguchi: il m’envoie un scénario, il me donne une deadline, et c’est tout ! Je suis vraiment libre de faire ce que je veux”. Et c’est sans doute cette liberté totale qui lui permet de déployer une discographie aussi riche, foisonnante et contrastée que la sienne.

Voici peut-être la force – et marque de fabrique – principale de Nobuo-sama: il est capable d’enchevêtrer n’importe quel style musical, et ainsi de les transcender au sein de compositions qui vous collent à la mémoire – ceux qui ont joué aux Final Fantasy savent avec quelle aisance le classique se mélange au métal, pour passer à la musique traditionnelle ou à la pop -. Cette fluidité, on la retrouve aussi bien dans la vie de l’auteur (autodidacte, ce fan de métal voulait être athlète, est passé par tous les petits boulots possibles pour se retrouver par hasard ou par nécessité financière dans le jeu vidéo) que dans son rapport à la musique. Comme il le précise lui-même: “J’écoute de tout, et je pense être un meilleur auditeur que compositeur.  C’est très étrange ces gens qui n’écoutent qu’un style: pour moi ils ne savent pas apprécier, écouter la musique. C’est comme aller dans un restaurant japonais et commander un plat français. Chaque style a quelque chose à nous apprendre, et si j’ai un conseil à vous donner c’est d’apprendre à apprécier tous les différents types de musique: votre oreille musicale n’en sera que plus riche”.

Symphonic Odysseys, la grandiose revanche de l’enfance:

Étonnant concert que celui proposé par Symphonic Odysseys. De par son public tout d’abord: l’interprétation symphonique des œuvres de Nobuo-sama permet à des audiences très différentes de se rencontrer – c’est aussi dans ce mélange que se retrouve l’idée de fluidité précédemment défendu -. A côté des fans qui s’amassent pour voir leurs musiques favorites prendre vie se tient un auditoire d’aficionados de classique, plus vieux, venu par curiosité ou pour apprécier le talent des solistes – figures souvent inconnues des admirateurs de Final Fantasy -. Mais ces différences importent peu face à l’appréciation mutuelle de la musique.

La musique justement, qu’en est-il ? Difficile de vous en faire une exposition constructive sans nous vautrer dans une accumulation d’adjectifs mélioratifs tirant sur la branlette intellectuelle. Comme Stendhal (oui, on cite l’ami Beyle, carrément), nous nous contenterons de ce qualificatif érigé comme concept, le seul qui demeure quand il n’y a plus grand chose à dire: sublime. On a du mal à contenir une larmiche devant les envolées lyriques de Final Fantasy VI, on sautille sur notre siège en même temps que Eckehard Stier sautille au rythme des symphonies qu’il dirige, on écarquille mirettes et écoutilles devant l’impressionnant solo de Rony Barrak, on frissonne devant la maîtrise chargée d’émotion de Mischa Cheung. 


Source: Wikipedia (FFVIII)

Et là, immergée dans le thème orchestré d’Aerith, je me rappelle. J’ai 9 ans, cachée sous ma couette, mes écouteurs vissés sur les oreilles. Perdue dans mes mondes intérieurs, je me promène sur les notes de Final Fantasy VIII. Déjà l’affirmation parentale selon laquelle “ça me passera” me paraît suspecte: comment une musique capable de susciter de tels univers pourrait elle me passer ? Après tout, peut-être ont-ils raison. Moi je suis petite, pour le moment j’ai le luxe de pleinement profiter de ce voyage imaginaire et musical, en redoutant le jour où je n’aurai plus l’âge. Et je me retrouve presque 20 ans plus tard. J’occupe, à mes frais, l’un des meilleurs sièges de la Philharmonie de Paris. J’écoute un concert interprété par le London Symphony Orchestra et ses solistes de renom – le genre de collectif dont la mention vous fait briller en société -. Toutes réorchestrées soient-elles, les musiques jouées n’en demeurent pas moins celles qui me faisaient rêver enfant; différentes, mais toujours les mêmes. Je tourne légèrement mon regard: à quelques sièges de moi est assis Nobuo Uematsu. Alors je souris. En façade je suis là; mais en réalité, j’arpente toujours les jardins de Balamb ou les bidonvilles de Midgar. En façade je fais tout comme une adulte; mais en réalité, légitimée par mes totems de « grande personne », ma tête reste lovée dans la musique du maître japonais.  

En conclusion, nombreux sont les stratagèmes pour feindre la « maturité » fondamentalement chiante tout en faisant honneur à l’enfant que vous étiez. Nobuo-sama continue de nous le confirmer; alors pour cela – ainsi que pour tout le reste -, arigatou gozaimasu.

Image de Une: Square (Final Fantasy X)