Berlin : 35 choses qui me manqueront

©Chloé Desnoyers

On ne repart pas de Berlin comme on y arrive. C’est un fait. Cette phrase n’est pas extraite d’une sitcom de seconde zone sur ZDF, n’est pas non plus une citation de Marlène Dietrich, mais m’est bien venue d’une inspiration instantanée, là maintenant, lorsque je repense à qui j’étais il y a 9 ans et qui je suis aujourd’hui.

J’ai récemment écrit un article expliquant pourquoi je quittais Berlin, publié ici-même. Les réactions ont été nombreuses, le plus souvent enthousiastes mais aussi quelques fois interrogatives voire perplexes dans mon entourage. Souvent par malentendu sur ma position je dois dire, qui ne fait pas de comparatif entre Berlin et ma prochaine ville. Là n’est pas l’intérêt. Quitter Berlin en bons termes, comme on se quitte après une histoire d’amour, fatigué avant qu’elle ne tourne au vinaigre, voilà l’idée. Tout en étant bien conscient que d’autres vivront cette relation avec bonheur toute leur vie.

Ingrat je ne le suis pas et ne le serai jamais. Loin de vouloir régler mes comptes avec une ville que j’adorerai toujours, il est temps pour moi de contrebalancer tout ça et de dresser une liste non-exhaustive de ce qui va me manquer en quittant Berlin. Une liste des choses que je ne trouverai pas dans ma ville méditerranéenne, ensoleillée 10 mois par an, quel ennui. Oui il faut rester lucide et garder à l’esprit que le paradis n’existe pas, que la météo ne fait pas tout, que la chaleur des gens non plus !

Ironiquement, j’ai eu l’occasion il y a quelques années de tourner pour la rubrique de l’émission Karambolage intitulée « Ce qui me manque ». Ma prestation télévisuelle si navrante autour d’un steak haché qui n’en était en fait pas un, en est restée (hélas) à l’état de rush que seuls quelques privilégiés ont eu la chance de voir.

Aujourd’hui, à environ un mois jour pour jour de mon décollage (aller sans retour) de Schönefeld, voilà non pas ce qui me manque mais ce qui me manquera, pensé avec lucidité et une vraie pointe au cœur.

1/ Pouvoir me déplacer facilement et à tout moment. Et oui, me connaissant moi et ma désaffection pour le monde du U-bahn, c’est plutôt cocasse mais il faut tout de même se rendre à l’évidence que pouvoir se déplacer sans limite toute la nuit, tout le week-end est un vrai luxe. Sans parler du réseau berlinois qui permet de se rendre partout aisément. Repartir dans le sud de la France, c’est aussi retrouver des bus qui ne passent pas à l’heure, mais avec un chauffeur sympa.

2/ Les pistes de vélo, la pratique du vélo en général, si agréable et si facile malgré le fait que les rails de tram en veuillent à ta peau, en parfaite collusion avec les chauffeurs de taxi trop nerveux de cette ville.

3/ Pouvoir aller au resto spontanément, sans avoir à réfléchir et sans avoir à y laisser un bras, voire deux. On en a que deux et ils sont précieux.

4/ Berlin au printemps (lorsqu’il daigne arriver) et à l’automne. Cette ambiance de renaissance et de déclin. Lorsque Berlin aux premiers beaux jours se rue sur les bancs, dans les parcs, exagérément. Et à l’automne lorsque tout le monde veut encore vivre avant la grande hibernation. Toute cette folie qui sent bon les grillades dans les rues, les éclats de rire et les sonorités d’une open-air party pas loin de là.

©Chloé Desnoyers

5/ Le lever du jour à 4 heures du matin en plein été lorsque tu finis ta soirée, le sourire aux lèvres et des tampons plein les bras.

6/ Les Bretzels chauds de chez Ditsch (que je troque contre baguettes croustillantes et croissants au beurre okay mais tout de même. Non je me fous pas de vous).

7/ L’énorme choix musical et culturel qu’offre Berlin, absolument unique. Et tous les soirs de la semaine. Car oui même si on finit par ne plus rien faire le soir à force de savoir que tout est là, à force de devenir pépère, on peut toujours trouver quelque chose de qualité quand on en a envie. Et se rendre compte lorsqu’on a plus le choix, que tout était là à portée de main. Sans parler du fait que le moindre concert dans le moindre bar soit quasiment toujours de super qualité.

8/ Ce côté délicieusement rétro de Berlin. Son amour pour le « vintage », ses vieux meubles dans les rues ou dans les bars, ses soirées Soul et ses danseurs de Swing.

©Chloé Desnoyers

9/ Les pots de yaourt bio qui ne sont pas hors de prix et tellement savoureux. Quoi ben oui c’est vrai.

10/ Le calme des rues et la verdure qui pousse sauvagement au pied des immeubles, aux croisements, sur les trottoirs, donnant un air de jungle à cette ville aux beaux jours.

©Chloé Desnoyers

11/ Les fraises allemandes lorsque la saison est arrivée.

12/ Le fait de pouvoir sortir si rapidement d’une capitale et se retrouver en plein champ, dans des forêts immenses ou les pieds dans un lac.

13/ Mon petit Italien du coin, Nini e Pettirosso, délicieux et si peu cher. 6 années de fidélité. Berlin regorge d’Italiens incroyables et est sans nul doute la ville européenne la mieux pourvue en la matière. Idem pour mon Vietnamien du coin, le Pho Phan, où l’on mange à deux au prix d’un menu français pour une personne, le midi.

14/ Pouvoir se rassasier à tout moment du jour et de la nuit. Ne jamais mourir de soif grâce aux Späti. Merci à eux.

15/ Toutes les possibilités de s’envoler à moindre coût depuis Berlin, vers à peu près partout en Europe, voire dans le monde. Vivre ici m’aura aussi permis de vivre intensément ailleurs.

16/ Vivre dans une ville immense sans en avoir les mauvais côtés, le stress, la surpopulation et la nocivité.

17/ Les Berlinois. Car oui, ceux qui me connaissent riront fort, mais je crois bien que d’une manière ou d’une autre, je vis l’amour vache avec ces gens. Leur côté brut de décoffrage m’irrite au quotidien mais a fini par me faire m’attacher à eux. Ma réaction au moment de l’attentat du marché de Noël n’en a été que plus révélatrice. On touchait à « ma » ville, on attaquait « mes » Berlinois, alors même que j’avais déjà décidé de quitter Berlin. Ce fut un rappel brutal à mon attachement viscéral pour cette ville. Sans oublier que ce côté franc du collier a un vrai côté positif lorsqu’une situation l’exige, quand quelqu’un saoule tout le monde par exemple. Alors qu’en France, on aurait tendance à ronger son frein.

18/ Le jus de pommes trouble. C’est futile après avoir parlé de l’attentat mais c’est bien réel ! Bon sang le jus de pommes Joker non mais non quoi. Ah ouais c’est con dit comme ça mais réfléchissez. Tout comme les saucisses de Nüremberg ou le Marzipan de Lübeck. Alimentairement, il y a peu de choses mais tout de même, ça marque un homme (gourmand) !

©Chloé Desnoyers

19/ La crème solaire à prix accessible. Sachant que je pars vivre dans une ville où le soleil tape 95% du temps et que je porte sur ma peau mes gènes germaniques, ce n’est pas négligeable de payer moitié moins cher !

20/ Le fait de pouvoir vivre comme bon nous semble. Ne pas être rasé de près pour aller bosser, pouvoir se négliger à l’occasion (mais pas tous les jours quand même au risque de voir son côté français s’estomper définitivement), pouvoir se comporter naturellement sans le regard désapprobateur des uns et moqueur des autres. Cette liberté qui m’a fait venir dans cette ville et que j’aime toujours autant aujourd’hui.

©Chloé Desnoyers

21/ Les cafés cosy où se poser des heures, sans qu’un serveur ne vienne sans cesse te demander quoi commander pour rester. Qu’on te laisse simplement le cul posé sur un canapé plutôt que sur des chaises de bistrots inconfortables.

22/ Le côté réfléchi et pragmatique des Allemands, même si le naturel explosif et spontané des méditerranéens me parle davantage après longue réflexion. Le côté cool du berlinois en entreprise également.

23/ Les rencontres enrichissantes faites ici et là dans cette ville qui regorge de gens intéressants aux parcours incroyables. Historiquement parlant également, ces témoignages de vie bâties à l’Est ou à l’Ouest et changées du jour au lendemain.

24/ Mes rencontres faites depuis 9 ans bien évidemment. Des personnes qui me sont chères, qui m’ont toutes marquées profondément et qui évidemment me manqueront chaque jour. Une amie plus encore que quiconque. Sans parler du fait que vivre cette ville en ayant de la famille ici est aussi quelque chose d’unique. Y voir naître et grandir sa nièce encore plus.

25/ Le microcosme des expatriés de Berlin, la joie de rencontrer quelqu’un du pays avec qui l’on partage le temps d’une soirée un humour commun et le goût des bonnes choses. Car oui, en France, ben il y a des Français, c’est le principe, et évoquer son amour des rillettes à un Français en France ne servira tout au plus qu’à te faire passer pour un con.

26/ La tolérance des gens d’ici, symbolisée par les encouragements reçus lors d’une prestation catastrophique au karaoké du Mauer Park ou au Monster Ronson. Ça donne des ailes de se sentir soutenu ! Le danger est l’emballement mais ça reste rare.

©Chloé Desnoyers

27/ La simplicité de beaucoup de choses et le côté relax de la jeunesse d’ici.

28/ Les week-ends de vacances passés en Allemagne, à découvrir de belles régions et du patrimoine insoupçonné. Après 9 ans je peux le dire sans hésiter : je connais mieux l’Allemagne que mon propre pays.

29/ Le Tempelhofer Feld, cet endroit unique au monde, symbole pour moi de l’esprit libre berlinois et qui procure un vrai bol d’air lorsqu’on en a besoin.

30/ La communauté turque de mon quartier même si je pars dans une ville multiculturelle et épicée, que le couscous deviendra la douce saveur de mon quotidien.

31/ L’exigence musicale partout, dans chaque bar, chaque club, chaque salle de concerts. C’est pointu, soutenu et ça ravit les tympans.

32/ Berlin la nuit, ses rues sombres, ses bars éclairés à la bougie où boire quelques verres sans que cela ne vous coûte une semaine de salaire.

©Chloé Desnoyers

33/ L’usage de mots allemands si pratiques comme « unterwegs » qui permet de dire que l’on est en chemin sans avoir à préciser plus. Le côté pratique de la langue allemande est un fait et un atout.

34/ Aller au ciné pour moins de dix balles, pouvoir y boire une bière et apprécier le film dans le calme d’une salle délicieusement rétro.

35/ Être le Français de service et en devenir intéressant. Vivre dans un pays où l’on vous aime pour votre culture et votre accent, où l’on vous questionne sur la politique et où l’on vous demande de choisir le vin, où l’on pense que vous vous nourrissez exclusivement de fromage. Tout cela qui n’a plus rien d’original une fois revenu au pays où je le sais, je ne deviendrai original que par mes années berlinoises.

Voilà, tout est à peu près là mais 9 ans de vie ne se résument pas à une liste.

Bon allez, pour balancer un peu, autant vous dire que les tomates sans saveur, le chauffage allumé un 4 mai, les personnes géantes postées devant moi à un concert, l’impossibilité d’entamer une discussion futile avec votre voisin ou le coup d’épaule violent d’un passant sans le moindre regard dans un couloir d’Alexanderplatz aux heures de pointe ne me manqueront pas le moins du monde !

Rendons à César ce qui appartient à César. Lorsqu’on quitte un endroit, on sait ce qu’on perd sans trop savoir ce qu’on gagne.

Mais à toi Berlinois(e) qui lis ces lignes, apprécie Berlin pour tout ce qu’elle a de riche et tout ce qu’elle apporte humainement ! « Arm aber sexy » n’est pas un simple dicton. C’est un fait, on peut être les deux sans aucune hésitation, tout en étant immensément riche de cette ville.

Alex est encore à Berlin pour quelques semaines, profitez-en pour le rencontrer à l’occasion d’une visite guidée de sa ville ! Le 28 mai avec un tour de Ring par exemple!