Obsession malsaine – C’est quoi, le ghetto gothique ?

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Rappelez-vous la saison dernière : New York se noyait dans l’effervescence de la Fashion Week avec comme apothéose la sortie de « La vie de Pablo », signé sa grandeur Kanye deep-in-debt West. Cet événement de taille fut quelque peu occulté par le défilé d’ouverture, fruit de la collaboration entre Puma et Rihanna. De la star (les sœurs Hadid), de la punkette (Ruth Bell), du sportswear sombre, sexy et androgyne, des chapelets et des lèvres charbon ; bref, une collection de vêtements « que porterait la famille Adams s’ils allaient à la salle de sport« , dans la pure tradition « ghetto gothique ». Mais au fait, c’est quoi ça ?

Naissance d’un genre

L’une des premières occurrences du terme vient de l’album Ghetto Gothic de Melvin Van Peebles. Pas grand-chose à voir avec le style actuel, si ce n’est la volonté d’allier des genres dits antinomiques et d’élever le hip-hop vers quelque chose de quasi élitiste. Le ghetto gothique, héritier du punk, du hooliganisme anglais et du gangsta rap germe dans l’esprit de la jeunesse née au début des années 90/fin 80, mais s’incarne et mature dans les années 2000. C’est à New York (même s’il se retrouve aussi bien au Japon qu’en Angleterre, au Mexique ou en France), sur les platines de sa théoricienne Venus X, que le genre s’extirpe du confidentiel des banlieues.

White Trash Nigger

Le ghetto gothique est un hybride inventé par des gosses évoluant entre des opposés culturels, et shootés à la transversalité que les prémices d’Internet permettaient. Ce sont « tous les enfants de familles dominicaines qui terrifient leurs parents avec leur amour de la techno allemande et leurs piercings » (Venus X). C’était porter un t-shirt Slipknot avec un jogging Adidas ou un hoodie NWA avec un choker à pics. C’était alterner entre NIN, Rammstein ou Anorexia Nervosa et Cypress Hill, Eminem, ou Björk. C’est allier des extrêmes paraît-il inconciliables, parce que « it doesn’t matter if you’re black or white : you’re still trash ». Les soubassements revendicatifs politico-culturels de cette volonté d’hybridation extrême sont assez évidents.

Rampant peu à peu hors des gouttières qui l’avaient vu naître, le ghetto gothique a rapidement été repris par des marques toujours avides de renouvellement. Normal. Quand on est décrit comme « un style étrangement harmonieux, mélange élégant, urbain et gothique », la zone de chalandise est potentiellement immense. Dans les enseignes précurseuses, citons HBA, En Noir ou Panda Eyes, et dans la mêlée des stars A$AP Rocky, Kanye ou Jay Z. Actuellement l’un des meilleurs ambassadeurs serait le « rager » Travi$ Scott (très investi dans la direction artistique actuelle de Rihanna) : Johnny Rotten comme modèle, des concerts n’ayant rien à envier à la folie de Slayer, un style vestimentaire sentant plus le cuir que le jogging, et une imagerie générale qui n’hésite pas à mixer bas-fonds de la té-ci et bayou chav’ lorgnant vers American History X ou True Detective.

Le ghetto gothique, c’est chic

Si Rihanna est connue pour ses frasques vestimentaires, c’est également une adepte de longue date du ghetto gothique, elle qui fut accusée par Venus X de récupérer l’esthétique du style à des fins strictement commerciales sans se soucier du message sous-jacent. La hache de guerre semble néanmoins enterrée puisque la DJette a été vue à l’after party du défilé Fenty x Puma. Intronisée par Venus X, Riri est devenue la digne représentante du genre, maintenant assez mainstream pour être phagocytée par une marque de l’aura de Puma. Le ghetto gothique survivra-t-il à son nouveau statut super branchouille (pour preuve, allez faire un tour à la sortie du Berghain) en vente dans n’importe quelle chaîne de prêt-à-porter ou sera-t-il dépossédé de sa substance extrême et underground ? L’avenir nous le dira.

Article original sur le Bonbon Nuit.