Regards Croisés #9 Les mots du sexe

©Claire Streetart

L’autre soir j’étais en route pour retrouver des copains dans un bar, et c’était tellement loin de chez moi (pour les Berlinois comptez au-delà de Wittenau le bout de la 8 c’est vous dire), que j’ai dû laisser le vélo au garage, et prendre le U-Bahn. Du coup j’en ai profité pour m’écouter la dernière émission des Pieds sur terre que j’avais ratée (le reportage quotidien de France Culture à 13h30), et han, le rouge me monte aux joues, me voilà en train de partager l’intimité de quelques Français qui nous livrent leurs « mots », leurs « expériences » quand ils parlent –ou ne parlent pas, silence on baise, de sexe.

Cela m’a immédiatement fait penser à l’émission de Karambolage spéciale Saint Valentin qui était passée sur Arte le mois dernier, où l’on parlait également de sexe, et des mots utilisés pour le décrire. Extrait :

« Moi, je trouve que chatte, c’est un joli mot, une chatte, la chatte. »
Sie sagt, dass sie das Wort chatte schön findet, « la chatte », die Katze.

« C’est vivant,
Es sei lebendig,

c’est souple,
weich,

plein de poils à caresser, la chatte »
voller Haare zum streicheln, « la chatte »

Là, on est toutes d’accord.
Ja, da sind wir einverstanden.

Aber wenn wir das deutsche Wort zu « chatte » suchen,
Mais quand on parle de la chatte allemande,

da sind wir nicht einer Meinung:
Là, elles ne sont pas d’accord :

« Ich mag das Wort Möse. »
Elle dit qu’elle aime le mot « Möse ».

« Nein, das gefällt mir nicht, ich finde das ein bisschen vulgär,
Elle, elle dit que ça ne lui plaît pas, que c’est un peu vulgaire

Ich finde Muschi besser. »
qu’elle préfère « Muschi ».

« Muschi ist mir zu brav, zu niedlich, fast eine Kindersprache,
Elle, elle dit qu’elle trouve Muschi trop gentil, trop brave, enfantin…

dann lieber radikal sein und Fotze sagen. »
qu’elle préfère encore le mot « Fotze ».

« Was!? Wie bitte!? Das ist doch ein Schimpfwort! »
Elles disent que c’est impossible, que c’est une insulte…

« Das ist total erniedrigend! »
Que c’est humiliant.

Forcément, j’ai commencé à m’interroger (plus haut que Wittenau c’est vraiment loin, ça laisse le temps de se sonder) sur quels mots j’utilise moi. En français pour le coup je peux paraître mega prude, enfin pas vraiment, je n’ai pas de problème de « petit abricot » et je ne fais pas « la chose », mais disons que je ne suis pas funky. Je considère tous les mots qui ont pu être cités dans le reportage comme vulgaires, et je n’aime pas la vulgarité, en tout cas pas dans ma bouche. Je crois que j’ai dû utiliser le mot « chatte » cinq fois dans ma vie. « Bite » peut-être un peu plus, et encore. Pour l’acte en lui même, je ne dis pas « baiser » mais « coucher », je ne dis pas « niquer » mais « faire l’amour ». Oui, je « fais l’amour », même quand il n’y a pas vraiment d’amour impliqué. Je croyais que tout le monde disait ça mais je me rends compte que non, absolument pas. D’ailleurs je me demande vraiment si c’est moi qui suis trop coincée des mots ou si c’est mes potes qui ont besoin d’être vulgaires pour se protéger. Aller chercher l’image, la métaphore boueuse (on dit schmutzig en allemand), c’est s’éloigner de son intimité, de ce qu’on ressent vraiment, de ce que sont vraiment les choses. Peut-être qu’avec mon sexe et celui de mon partenaire, je fais l’amour vocabulairement un poil plus courageusement. C’est ceux qui en disent le plus qui en font le moins hein. Je vous laisse méditer la question.

En allemand je suis un poil plus vulgaire. Mais surtout parce que je n’ai pas l’impression d’avoir le choix. À mon arrivée à Berlin je m’étais dégotée un petit allemand bien mignon dont j’ai fait l’éducation sexuelle en échange de considérables progrès en langue. Tandem with benefits. Il m’est très vite apparu que j’étais interdite de « Liebe machen », comble de la gnangnantitude, et qu’on n’utilisait jamais « meiner Sex » pour parler de son sexe, genre vraiment jamais. J’ai retenu « vögeln » qui me plaisait bien parce que ça me faisait penser aux oiseaux (die Vögel), même si j’ai compris par la suite qu’en soi « vögeln » ne sonne pas mignon pour deux sous en allemand.

Toute cette petite réflexion personnelle m’a donné envie d’en discuter avec mes amis allemands. Je m’attendais à des regards gênés et des questions hésitantes sur le pourquoi du comment, mais non, mes collègues semblaient ravis de se lancer dans des listes sans fin de mots plus vulgaires les uns que les autres, faisant rougir notre petit cuisto Azubi (comprendre stagiaire en alternance) qui passait par là. Je me dis qu’ils se permettaient d’aller assez loin parce que cette discussion était initiée et sous l’autorité d’une Française, icône sensuelle et sexuelle absolue dans l’imaginaire collectif, a-t-on besoin de le rappeler.

« Pour le sexe féminin, c’est Muschi, ou Fotze, mais Fotze est quand même vachement plus vulgaire. Muschi c’est comme en français non ? Chatte ?
-Ah parce que Muschi c’est chatte ? Je croyais que ça venait de Muschel, la moule.
-Aaaahh non, rien à voir avec les moules.
-Moi mon mec il dit Frosch (grenouille).
-Ah bon ? Moi le mien ça lui arrive de dire Schnecke (escargot).
-Ah sinon il y a Ritze aussi (la fente), ça c’est bien pourri comme nom. Mais sinon moi je dis Fut, l’abréviation de Fotze, mais en plus joli. Et ma nièce dit Mumu. »

Bon et pour les mecs alors ? Et bien comme en français, la liste n’en finit pas de s’allonger. J’ai retenu « Nudel », la « nouille ».

« Fotze c’est vraiment schmutzig, oh oui fick mich in die Fotze, beurk beurk.
-Fotze c’est une insulte aussi, genre vieille Fotze ».

On en est doucement venu à l’acte lui-même.

« Ma mère elle dit « bumsen ». Bumst du ihn ? C’est hyper DDR des années 70.
-Grave. Moi je dis « donnern ». »

C’est pas mal ça « donnern » ça sonne un peu comme « Döner » dans « Döner Kebab », autre spécialité berlinoise. Le truc bien sale qui fait franchement du bien de temps en temps. « Döner36 » ça a sûrement été un bordel à Kreuzberg avant d’être un kebab légumes (désolée pour tous ceux qui n’auront pas la référence).

« Les mecs entre eux ils vont « eine Nummer schieben », ou « einen wegstecken ».
-Ah ben tiens, et toi Chris, tu dis quoi pour coucher avec quelqu’un ?
-Bah euh, bah « liebe machen ». »

Gros regards consternés et sourires en coin.

« Genre vraiment ?
-Ben euh oui moi je trouve ça bien « Liebe machen ». »

Comment traumatiser gentiment le stagiaire puceau sur son lieu de travail.

« Moi je m’en fous un peu de ce qu’un mec me dit pour me mettre dans son lit, l’essentiel c’est qu’il se taise après. Je ne supporte pas qu’on parle pendant l’acte. Ça me perturbe.
-Ah oui ? Moi c’est plutôt, parle si tu veux, mais ne me regarde pas. Ce truc des nanas qui veulent qu’on les regarde dans les yeux, c’est insupportable.
-T’inquiète, ça concerne aussi les mecs. J’ai vu sur le net une fille qui s’est fait tatouer des yeux juste au-dessus de la chatte, genre : regarde-moi là, pas plus haut. Un mec qui te fixe pendant qu’il te lèche, l’angoisse. (Faire un cunni en allemand se dit lecken, lécher).
-Alors que dans l’autre sens c’est génial, moi j’adore qu’une fille me regarde pendant qu’elle me suce. »

Je continue à polir mes couverts en me disant que finalement, les constatations ne sont pas différentes entre Allemands et Français. Du coup je cherche la différence. Maintenant que les clients de la table 11 (qu’on avait oubliés et qui ont dû bien se marrer) sont partis, parlons clichés.

« Les Français sont assez pervers non ? Genre ils font un peu tout et n’importe quoi. Moi depuis que j’ai vu le film Ma Mère je suis un peu dégoûté. Non mais sérieux, ça vous arrive souvent de coucher avec votre mère ? » (Synopsis AlloCiné : « Pierre, un adolescent de 17 ans, voue un amour aveugle à sa mère (…) va demander à être initié par elle à la débauche quitte à aller jusqu’au bout de jeux de plus en plus dangereux… »

J’ai envie de répondre qu’il n’y a que dans le nord de la France que ça se passe mais personne ne comprendra.

« Il y a toujours le classique de la Française qui aime sucer. Parce qu’au fond l’expression n’est pas née comme ça, si ? Pas de fumée sans feu. ( « französisch können » ne veut pas seulement dire « savoir parler français » mais bien « faire des pipes ». Tout germaniste de LV2 se reconnaîtra dans cette blague infâme perpétrée de tout temps par les correspondants outre-rhin.

J’ai envie de dire que la tresse africaine, qui est une « tresse française » en Allemagne et une « tresse autrichienne » en Pologne est bien l’exemple du contraire).

« Et vous les Français, c’est quoi vos clichés sur les Allemands ?
-Alors outre le cliché du mec allemand hyper timide qui ne sait pas draguer et refuse de coucher le premier soir, on a tendance à trouver que l’homme allemand est flemmard et adore être en dessous. Vous confirmez ?
-Grave. J’y avais jamais pensé mais grave, mon mec est trop comme ça.
-Et sinon les mecs pensent que toutes les Allemandes sont hyper poilues.
-Was?! »

De quoi disserter sur l’épilation allemande dans un prochain Regards Croisés.

Nous tenons à préciser que toute métaphore filée et toutes allusions subliminales à divers actes sexuels dans cet article sont tout à fait volontaires. Comme je dis toujours à mes copains allemands « les Français, on en fait cent fois moins que ce que vous pensez, mais on y pense mille fois plus que vous ne pouvez l’imaginer ».

D’ailleurs si tout ça vous a émoustillé, on vous renvoie vers la rubrique des nouvelles érotiques…