Pour qu’on se batte du même côté

Il est un débat qui me questionne depuis quelques temps. Tout a commencé avec l’article sur Fenty Beauty publié sur nos pages. Après nous être extasiées sur la gamme qui, soyons clairs, révolutionne un peu le monde du make up (mais avec Riri aux commandes on n’en attendait pas moins), mes copines et moi nous sommes posé la question de la nécessité de se tartiner de fond de teint de bon matin. Pression masculine, vraiment ? Ce ne sont pas plutôt les femmes qui se poussent, entre elles, à viser la peau de pêche ? Peut-être… Mais je refuse d’accepter ce postulat. Certes, aucun de mes mecs ne m’a jamais fait de réflexion sur le fait que je me maquille peu voire pas (bon à part X. qui fait toujours une syncope quand je porte mon rouge à lèvres orangé), mais je reste persuadée que si les femmes sont à ce point là branchées make up, c’est parce que la société dans laquelle on vit les y pousse. Pour appuyer mon propos je vous renvoie vers cette excellente BD d’Emma :

 

 

©Emma

Le même débat a repris aujourd’hui. On parlait de l’affaire H.W. (qui n’en parle pas ?), et de toutes ces femmes qui lui servaient de rabatteuses. X., qui travaillait fut un temps pour un grand média anglais, m’a raconté que sa boss avait été invitée à déjeuner par Weinstein dans le cadre du festival de Cannes, et que celui-ci lui avait proposé de coucher avec lui, le tout encadré par un contrat que son assistantE s’était empressée d’apporter, stylo à la main. Par ailleurs, combien d’actrices ont entendu dans leur entourage des femmes leur recommander d’accepter l’invitation de ce minable pour accélérer leur carrière… Donc oui, la participation active/passive de certaines femmes dans cette affaire est indéniable, mais pour autant je ne veux pas critiquer ces femmes. Pas une seule seconde. Parce qu’encore une fois je crois profondément que ce qui se joue ici c’est de l’ordre du « diviser pour mieux régner ». Parce que tant que nous les femmes, on se chamaille entre nous et on se dénigre (« encore plus courte la jupe non meuf? », « travailler avec des mecs c’est mieux y a moins de gossip »…) on n’a moins de temps et d’énergie pour le reste (au hasard : lutter pour l’égalité salariale, contre le harcèlement de rue, pour que la police soit enfin formée à prendre des plaintes pour viol, pour qu’il n’y ait plus prescription en ce qui concerne les viols dans l’enfance, contre la charge mentale…).

C’est flagrant avec les hashtags #metoo et #balancetonporc. D’ailleurs je l’ai bien vu avec X. hier. Pendant que je travaillais à cet édito il m’a dit que son groupe de potes avait eu un débat sur les # en question (en l’occurrence en anglais #menaretrash). Pas mal de ses amis (« i » pas « ie ») condamnaient ce # qui les mettrait tous dans le même panier alors que non, tous les mecs de sont pas des… Bref vous avez saisi. J’ai inspiré profondément, j’ai posé mes lunettes sur le bureau et je me suis retournée vers X. en comptant sur mes doigts et en le priant de retranscrire mes propos auprès de ses camarades :

1/ « Men are trash », on est d’accord, c’est du niveau de « Toutes des salopes », mais ce qui vous dérange vraiment, c’est que nous les femmes, on est censées être des petites choses mignonnes qui sont au-dessus de ça, on est censées vous prouver tous les jours qu’on est plus douces, plus gentilles, plus intelligentes que vous les garçons qui partaient à la guerre avec vos grosses noix. Qu’on s’énerve, qu’on en puisse plus, qu’on pète les plombs et qu’on le dise, ça vous dépasse. Parce que oui, #balancetonporc, #menaretrash, ce n’est que ça, la traduction de notre exaspération, du fait qu’on en PEUT PLUS de se faire agresser sur une base régulière depuis qu’on a quoi, 5 ans ? J’ai 27 ans et dans ma vie je me suis faite agressée sexuellement 4 fois. 4 fois. A 11, 14, 22 et 27 ans. Comment tu crois que je le vis en fait ? Et là je ne te parle que des agressions, c’est à dire des moments où un homme a profité de mon corps d’une façon sexuelle sans que je ne sois d’accord, je ne te parle même pas du harcèlement, des remarques dans la rue, des propositions déplacées dans le cadre du boulot ou de mes études. Tu crois qu’à ma place, tu réagirais comment ? Toi et tes grosses noix, tu crois pas que t’aurais pété les plombs déjà bien avant en fait ?

2/ #Menaretrash, c’est tout ce que vous retenez ? Les mots utilisés ? Parce que moi en fait je m’en fous un peu du # auquel tout ça est relié. Ce que je vois par contre c’est le nombre de #metoo dans ma timeline ! Surtout que j’imagine que beaucoup de mes copines n’ont a) pas eu envie de l’utiliser pour plein de raisons, genre leurs parents sont sur facebook aussi tout ça tout ça b) ne savent même pas que quand elles se sont réveillées nues dans le lit d’un mec après une soirée alcoolisée à 16 ans, c’était bel et bien une agression sexuelle (parce que dans quelle mesure tu peux appeler ça une relation sexuelle désirée (je dis bien désirée et non consentie, parce que « consentie » vous savez c’est ce qui a fait qu’on a requalifié le viol de Sarah, 11 ans, en atteinte sexuelle). Donc je suppose qu’il faudrait le multiplier par 1,5 voire par deux le nombre de #metoo et de #balancetonporc.

D’ailleurs X., puisque tu comprends le français, je t’invite à bien imprimer ce tweet là qui résume parfaitement la situation :

https://twitter.com/foismarina/status/920391954864791552

3/ Et donc tes amis ne veulent pas être mis dans le même panier que les crétins qui nous agressent dans la rue (« t’es vraiment bonne ça te dit qu’on aille boire un verre chez toi ouais c’est bon tu pourrais répondre j’suis poli moi salope va »), sur notre lieu de travail (« très jolie jupe aujourd’hui, si le client ne signe pas je ne sais pas ce qu’il lui faut »), dans notre immeuble (« ça valait le coup de monter les 5 étages dites donc! Signez là s’il vous plaît ») etc. parce qu’eux ne sont pas comme ça ? Ah ouais… Ben moi je veux bien hein. Rappelle-moi l’histoire de ta boss qui s’est fait invitée à déjeuner par Weinstein ? A part ouvrir la bouche d’un air choqué quand elle t’a raconté ça, t’as fait quoi de plus en fait ? Mmm ok, c’est bien ce que j’me disais. Et puis tu me disais que toi aussi tu as vu passer des #metoo dans ta timeline. Tu as écrit un message à tes copines pour leur dire que tu étais désolé de l’apprendre ? Un petit coup de fil peut-être pour dire que tu es choqué de lire ça et que tu aurais aimé être là pour elle à l’époque ? Que si jamais quelque chose de la sorte lui arrive à nouveau, elle pourra se confier à toi ? Les mecs ne sont pas tous trash, c’est sûr, mais bon avant de vous insurger faudrait peut-être vous assurer que vous êtes de vrais héros.

Bref. Tout ça pour dire que moi j’ai fait le choix de la sororité. Je crois que pour que les choses changent, pour qu’on arrête de traiter les femmes comme des enfants/objets/sous-hommes (c’est au choix c’est cadeau), non seulement il faut que les hommes s’y mettent et participent à nos combats (les soutenir de loin ce n’est plus suffisant les gars), mais avant tout il faut que TOUTES les femmes se soutiennent et se respectent. Donc non, je ne blâmerai pas ces femmes qui ont joué les rabatteuses. Ma colère restera tournée uniquement vers le patriarcat tant qu’il y aura autant de #metoo dans ma timeline, et mon amour sera pour toutes, TOUTES les femmes. Même celles qui m’ont fait la misère au collège, même celles qui gossipent dans mon dos, je penserais toujours à elles comme des soeurs, des soeurs qui n’ont peut-être pas eu la chance, contrairement à moi, d’avoir les clés nécessaires pour comprendre ce qui se joue dans notre société occidentale. Et je continuerai à espérer qu’un jour leur regard change, comme un jour le mien a changé. Je continuerai à espérer qu’un jour on se batte du même côté. #JohnSnow